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Air du temps

REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE

1er juin 2023

Allemagne

15 avril 2023. A 23 :45, par décision au niveau fédéral, les trois dernières centrales nucléaires allemandes encore en fonctionnement ont été déconnectées. C’est la fin d’une aventure industrielle de soixante-ans fortement secouée par les catastrophes nucléaires de Tchernobyl (1986) et de Fukushima (2011). A contrario de l’obstination française, l’Allemagne est donc allée jusqu’au bout du cheminement « Atomkraft? Nein, danke! » (« Nucléaire ? non merci ! »). C’est un choix courageux pour un pays, pour l’instant, plus dépendant que la France de l’étranger, en matière d’approvisionnement énergétique (Figure ci-dessous). Pour 2030, l’objectif du gouvernement allemand est d’atteindre 80% d’énergie électrique renouvelable. Ce qui passe par un quasi doublement de l’effort actuel d’installation de l’énergie éolienne et en particulier pour l’éolien marin. L’Allemagne s’est déjà dotée d’une capacité de production éolienne terrestre de 50 gigawatts (GW) en 15 ans. Pour l’éolien offshore, elle a pour objectif d’atteindre 30 GW en 2030, puis 70 GW en 2045 (1). Un challenge que l’Allemagne ne pourra tenir sans un fort engagement des citoyens et de l’industrie, comme c’est le cas dans d’autres pays d’Europe (2). Ceci tranche décidément avec le timide engagement de la France en matière d’énergies renouvelables (Air du temps du 1er mars et du 1er avril 2022), même si le président Macron, au mini-sommet européen éolien d’Ostende du 24 avril 2023, déclarait: « Nous voulons une industrie européenne pour produire » éoliennes et infrastructures, « et ne pas répliquer les erreurs que nous avons pu faire » (2). Dont acte.

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Dépendance énergétique de l’Europe. Crédit : Eurosat

L’Allemagne est décidément une nation au caractère original dont j’ai appris à connaître et apprécier les habitants, en particulier lors de mes pérégrinations scientifiques et les liens que j’ai pu nouer avec des chercheurs à Bremerhaven, Bremen, Kiel, Hambourg et Munich, et au cours de campagnes en mer à l’autre bout de la Terre. Il n’est pas inintéressant d’entrer dans leur imaginaire pour comprendre l’évolution de cette nation et le rôle clef qu’elle joue en Europe.

De Wotan à Wagner

 

Immuable, le Rhin s’écoule à Strasbourg, servant de frontière entre la France et l’Allemagne. Voici quelque temps, à Neuhof, en amont de la capitale alsacienne, avec mon ami alsacien Marcel Dietsch, je n’ai pu résister au plaisir d’aller nager dans un diverticule du fleuve, à l’écart de l’intense circulation des péniches.

Au bord du Rhin, le rocher de la Lorelei (crédit : Gisèle Pays).

À Coblence, plus en aval, le Rhin baigne le rocher de la Lorelei, la sirène aux longs cheveux d’or, dont au lycée mon professeur d’allemand nous a conté la légende. Dans le poème de Heinrich Heine, ses chants charment les bateliers qui imprudemment naviguent à ses pieds, se laissant conduire à leur perte. L’imaginaire allemand abonde en légendes tragiques, où rode l’ombre du terrible dieu Wotan et du Walhalla, où les Walkyries ramènent les valeureux guerriers défunts. Avec Grimm, nous suivons le joueur de flûte à qui les habitants de la ville de Hamelin promettent mille écus d’or s’il les débarrasse des rats qui l’ont envahie. Au son de son instrument, il les entraîne vers le fleuve où ils se noient. Mais, oubliée cette calamité, ils se gardent bien d’honorer leur promesse. Le joueur de flûte renouvelle alors l’opération au cours d’une nuit paisible. Mais cette fois c’est pour conduire tous les enfants de la ville ingrate vers leur perte. Comment oublier l’allégorique poème du « Roi des aulnes » de Johann Wolfang von Goethe, ou la créature maléfique se saisit d’un enfant, endormi dans les bras de son père chevauchant dans une sombre forêt, pour l’entraîner vers la mort. De la légende des Nibelungen où le jeune géant Siegfried, dans une grotte des bords du Rhin, tue le dragon, et où Lohengrin, le chevalier du Graal, épouse Elsa la fille du roi, Richard Wagner s’est emparé pour créer des drames lyriques dont les thèmes mythiques ont pu faire le délice de l’idéologie national-socialiste.

Des traces indélébiles de sa tragique Histoire

 

Voici quelques siècles les Allemands étaient dispersés dans un ensemble d’états disparates. En 1871, il existait 25 états au sein de l’empire. C’est au cours du 20ème siècle que les actuels länders (Figure ci-dessous) se cristallisent Au cours des aléas de l’Histoire, ils ont peu à peu réussi à créer une nation. Au cours de ce 20ème siècle, cette nation à l’imaginaire complexe et aux relations conflictuelles avec ses voisins européens, a entraîné le reste de l’Europe (et du Monde) dans une Histoire tragique, dont elle cultive, en particulier à Berlin, des traces impérissables pour rappeler aux plus jeunes où peut conduire les dérives totalitaires.

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L’Allemagne, une fédération de « Länder » (régions)

Trois grandes unités de relief et de structure caractérisent l’Allemagne qui s'étend sur trois des grandes régions naturelles de l'Europe : les Alpes et leur avant-pays ; le Mittelgebirge européen (ou Europe hercynienne ou moyenne) ; la grande plaine du Nord.

L’Allemagne intérieure abonde en paysages bucoliques, en Forêt Noire comme à Fribourg (Freibourg), à la riche histoire médiévale, ou au fil du Danube (Donau) qui y prend sa source avant de parcourir 2850 km traversant ou longeant dix pays d'Europe. A Berlin, la ville a volontairement gardé la mémoire des désastres de l’Histoire, celle des terribles destructions résultant des bombardements de la deuxième guerre mondiale et celle de la Shoah (Figure ci-dessous).

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Le calme d’une place de « village » médiéval à Fribourg (Forêt Noire) ;  le Danube à Regensburg (Bavière); (Crédits : Catherine Charreteur)

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Berlin. Les ruines de l’église du Souvenir de l'Empereur Guillaume, dite église du Souvenir, située au centre de la Breitscheidplatz à l'entrée du Kurfürstendamm, le grand boulevard de Berlin-Ouest, le clocher a été conservé dans son état consécutif au bombardement de la capitale du Reich pendant la Seconde Guerre mondiale, et complété de 1959 à 1961 par un nouveau bâtiment dessiné par Egon Eiermann, comme mémorial des destructions dues au conflit; Monument à la mémoire de la Shoah (Crédits : Paul Tréguer)

L’Allemagne, où bat l’un des cœurs de l’Europe

 

Berlin est fréquemment le siège de manifestations européennes (Figure ci-dessus) dans le secteur de la porte de Brandebourg, symbole de la réunification allemande, et du parlement de Berlin, celui « Dem Deutschen Volke », littéralement celui « du peuple allemand ».

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Le Parlement à Berlin, symbole de la démocratie retrouvée après le drame historique du national-socialisme ; Une manifestation internationale à la porte de Brandebourg (Berlin), symbole de la réunification de l’Allemagne, avec l'intégration de la République démocratique allemande dans la République fédérale d'Allemagne en 1990 (Crédits : Paul Tréguer).

L'Allemagne est la cinquième puissance économique du monde derrière les États-Unis, la Chine, le Japon et l’Inde. Elle doit ce rang au dynamisme de sa population active, qualifiée en particulier grâce à l’apprentissage professionnel, et de ses filières industrielles qui font de l’exportation leur force de frappe (elle est aujourd'hui le troisième plus grand exportateur mondial de biens derrière les États-Unis et la Chine). A la grande différence de la France, où les relations sociales sont basées sur un principe d’affrontement entre représentants du capital et des travailleurs, les entreprises et les syndicats allemands ont tendance à fonctionner en cogestion. La recherche du consensus caractérise les relations sociales en Allemagne. Ceci s’explique sans doute par l’Histoire de la constitution de cette nation, bâtie sur une base fédérale s’appuyant sur des « länder » (« régions ») qui incite à rechercher le dialogue pour parvenir à une décision « gagnant-gagnant », plutôt qu’à une relation « top-down » typique de l’organisation monarchique puis jacobine de la France. Cette culture donne aux Allemands un avantage certain dans la construction de l’Europe dont le fonctionnement des institutions est basé sur la recherche du consensus entre 27 nations de taille et d’intérêts souvent divergents. Un véritable challenge.

L’un des problèmes majeurs de l’Allemagne d’aujourd’hui est son déficit démographique, avec le nombre annuel de naissances inférieur à celui des décès (Figure ci-dessous). Ceci l’amène à ouvrir largement ses portes à l’immigration depuis les années 1950. Durant les années 2010, le solde migratoire allemand a été très élevé du fait de la venue des citoyens du sud de l'Europe qui fuient le chômage, la possibilité désormais ouverte aux personnes des huit nouveaux pays entrés dans l'Union européenne, en particulier de Pologne et de Hongrie, de travailler librement en Allemagne. Les demandes d'asile venues notamment de Syrie ont contribué aussi à cet accroissement.

En 2021, sur les 83 millions d’Allemands, 11,8 millions sont d'origine étrangère. Si on prend en compte leur nationalité d'origine ou celle de leurs parents, 12 % sont d'origine turque, 7,4 % d’origine polonaise, et 7,3 % d’origine syrienne, les personnes d’origine russe représentant 2,3% (4). Des cultures et des imaginaires originels extrêmement différents mais qui n’ont, jusqu’à présent, pas empêché leur intégration dans une société qui admet l’altérité comme un fondement sociétal majeur. Durant l'ère Merkel, l'Allemagne a quasiment retrouvé le plein emploi et des comptes à l'équilibre, mais dans cette économie libérale l'écart entre les riches et les pauvres a continué à se creuser. Treize millions d'Allemands sont actuellement considérés comme pauvres (5). Le modèle économique allemand génère une société profondément inégalitaire. Différences sociales, différences culturelles. Des facteurs favorables pour faire, comme en France, le lit d’une extrême droite anti-européenne qui reste puissante en Allemagne.

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Graphique des naissances et des décès de 1950 à 2021. Les naissances (en vert) montrent nettement deux périodes de décrochage. La première spectaculaire (de 1968 à 1975) témoigne de l'effondrement de la fécondité. La seconde, après 1997, résulte du tarissement du nombre de femmes en âge d'avoir des enfants, avec maintien d'une très faible fécondité (passage à la deuxième génération de très basse fécondité). Entre les deux, une baisse assez importante se produit de 1990 à 1995, liée à l'absorption de l'ancienne Allemagne de l'Est qui s'aligne rapidement sur la très basse fécondité ouest-allemande (3).

Au 1er janvier 2022, la population de l’Union européenne à 27 États membres comptait presque 447 millions d’habitants. L’Allemagne y contribue pour 18,5% et la France pour 15%. Avec l’Italie (13%), l’Espagne (10,5%) et la Pologne (8,5%), ces cinq pays représentent les deux tiers de la population de l’Union Européenne. De l’Allemagne à l’économie libérale, à la France jupitérienne, en passant par la droitière Italie, l’Espagne fragmentée, et la Pologne illibérale, l’écart des espoirs et des imaginaires est grand. Un vrai challenge pour consolider l’Europe au 21ème siècle. Il est important de le réaliser si l’on veut travailler à l’évolution du rôle de l’Europe dans un monde géopolitiquement fractionné.

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