Air du temps
REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE
1er janvier 2023
Anthropocène
Dans le précédent Air du temps, je m’interrogeais sur les scénarios possibles pour « le monde d’après ». Pour cette nouvelle année je mets ces scénarios en perspective en répondant à trois questions :
Qu’est-ce que l’Anthropocène ?
Homo sapiens est-il compatible avec la Nature ?
Le changement climatique : pouvons-nous survivre ?
C’est en fait le résumé d’une conférence que j’ai donné à l’Université de Bretagne Occidentale le 20 octobre 2022. Vous la retrouverez in extenso sur https://ubocloud.univ-brest.fr/s/yzyrSRpTaxJGipw


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Trois personnages clefs pour comprendre l’évolution du monde :
Paul CRUTZEN, chercheur néerlandais, prix Nobel 1995 de chimie, « inventeur » de l’Anthropocène (1) ;
Yuval NOAH HARARI, professeur d’histoire à l’Université Hébraïque de Jérusalem, auteur de « Sapiens, une brève histoire de l’humanité » (2) ;
Bruno LATOUR (1947-2022), sociologue, anthropologue, théologien et philosophe des sciences (3) ;
L’Anthropocène, qu’ est-ce c’est ?
L’Anthropocène est un concept introduit par Paul Crutzen qui le définit comme l’époque géologique à partir de laquelle l'influence de l'être humain sur la géologie et les écosystèmes est devenue significative à l'échelle de l'histoire de la Terre. Ce concept n’est pas partagé par les paléologues qui raisonnent à l’échelle de milliards ou de millions d’années (figure ci-dessous). Pour eux, depuis 12 000 ans nous sommes dans l’Holocène, une période géologique interglaciaire, marquée par une remontée des températures et du niveau des mers, qui succède à l'époque glaciaire du Pléistocène. La notion d’Anthropocène est cependant admise chez les climatologues qui la font en général démarrer au milieu du 19ème siècle, c’est-à-dire au démarrage de l’ère industrielle.

La vie est née sur terre voici quelques 4,6 milliards d’années. Dans l’arbre phylogénétique le genre homo est apparu il y a 2,5 millions d’années. L’espèce Homo sapiens sapiens domine depuis 300 000 ans. A l’échelle des temps géologiques c’est une période très courte ; pour reprendre une image c’est l’écume des jours.
Au cours des ères géologiques la vie a souvent été menacée de disparition et l’on distingue cinq grandes extinctions. Parmi celles-ci est particulièrement connue la cinquième extinction, celle qui est intervenue au Crétacé (il y a
66 millions d'années) quand l’impact d'un astéroïde a provoqué la disparition des grands mammifères dont les dinosaures.
L’Anthropocène correspondra-t-il à une sixième extinction de masse ? C’est un risque qu’on ne peut exclure au vu des rapports alarmants de l’UICN (Union Internationale de Conservation de la Nature) qui a recensé la disparition de 865 espèces dont 18 marines. Les rapports de l’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) équivalente pour la biodiversité de l’IPCC (Intergouvernmental Panel on Climate Change) qui se focalise sur le climat, vont dans le même sens. Homo sapiens a incontestablement provoqué le déclin de la biodiversité à l’échelle globale.
La récente COP 15 (Conference of Parties) de Montréal montre que l’inquiétude de l’espèce humaine, quant à ses impacts sur la diversité, est désormais largement partagée à l’échelle internationale. 195 Etats se sont engagés à prendre des « mesures urgentes » pour protéger 30 % de la planète, restaurer 30 % des écosystèmes et doubler les ressources destinées à la protection de la nature d’ici à 2030. Si cette résolution est suivie par des actes, et rapidement, ce sera un progrès incontestable. L’océan cependant demeure le parent pauvre de cette conférence, notamment parce que la notion d’aire marine protégée n’est guère contraignante quant à l’exploitation des ressources biologiques et minières.
Homo sapiens est-il compatible avec la Nature ?
C’est la question que l’on doit désormais se poser. Notre espèce est totalement dépendante des autres composantes de la planète Terre qui, outre un environnement aqueux favorable à la vie basée sur le carbone, lui offre d’abondants ressources biologiques et minières. A chaque seconde, pour respirer, nous avons besoin du dioxygène produit par les plantes et les micro-organismes photosynthétiques marins. Sans elles nous ne pourrions survivre.
Or chaque année nous épuisons de plus en plus nos ressources. A la vitesse où nous consommons les ressources de la planète Terre ne nous suffisent plus et nous sommes au-delà de leur renouvelabilité.

Chaque année l’ONG Global Footprint Network, calcule le jour où nous avons épuisé toutes les ressources renouvelables de la planète. En 1971 nous étions à la limite de l’épuisement, en 2022 cette limite a été atteinte le 22 juillet. Autrement dit nous sommes en train d’épuiser nos ressources de plus en plus.
Si le genre Homo est apparu il y a 2,5 millions d’années, notre espèce, Homo sapiens s’est répandue à la surface de la Terre depuis 300 000 ans dominant les autres espèces depuis -50 à 30 000 ans. Elle a progressivement colonisé la planète Terre, les derniers espaces peuplés étant ceux de l’Islande et de la Nouvelle Zélande. Pour coloniser la Terre nous avons besoin d’énergie. Depuis des millénaires, en sus des énergies naturelles, celle du vent et de l’eau, jusqu’alors les civilisations de par le monde exploitaient les « bio-énergies » : la force des bras, celles des chevaux et d’autres animaux. Puis on est passé en quelques décennies à celle des machines mues par la vapeur engendrée par la combustion de la houille dont l’exploitation est devenue stratégique dans les
« pays industrialisés ». Pour exploiter l’énergie en utilisant le cycle de Carnot (échange de travail entre une source chaude et une source froide), pour la production d’énergie, nous sommes passés de la houille aux hydrocarbures liquides ou gazeux. Or leur combustion produit du CO2, gaz à effet de serre. Le développement de l’agriculture et des industries génèrent également du CO2 et d’autres gaz à effet de serre.
Au 19ème siècle, au début de l’Anthropocène Homo sapiens savait-t-il qu’il allait drastiquement modifier le climat à l’échelle planétaire ? Même Jules Verne, écrivain de la conquête industrielle, anticipateur de génie, ne l’avait pas prévu.
Il faut toutefois signaler la remarquable étude du Suédois Svante Arrhenius parue en 1896. Intitulée « De l'influence de l'acide carbonique dans l'air sur la température au sol » elle montre qu’un doublement de la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère entrainerai un réchauffement d'environ 5 °C de la surface de la planète. C’est très proche des prévisions actuelles de l’IPCC, sauf qu’Arrhenius s’attendait à ce que le taux de CO2 double au rythme de son temps, en environ 3 000 ans, alors qu’au rythme où nous l’émettons, cela prendra un siècle seulement.
Le changement climatique : pouvons-nous survivre ?
Clairement, la planète Terre n’est pas en danger. Au cours de son histoire elle a connu des conditions très contrastées, allant du scénario « boule de glace » qui est intervenu à au moins trois reprises il y a 2,4 milliards d'années, 720 millions d'années et 635 millions d’années), à celui d’une Terre très chaude par exemple à l’Archéen ou début du Précambrien, quand la température moyenne était d’environ 60°C avec une atmosphère contenant 100 fois plus de CO2 qu’aujourd’hui. Donc, l’enjeu n’est pas de « sauver la planète » comme on le dit souvent mais de sauver l’espèce humaine et les écosystèmes à l’échelle planétaire.

Le plus récent rapport du GIEC (IPCC) (4) abonde en solutions opérationnelles pour réaliser une société sobre, alimentée en énergies renouvelables dans le cadre d’un développement durable.
Le changement climatique n’est pas le seul en cause. Globalement c’est toute notre façon d’utiliser les ressources de notre planète qu’il nous faut repenser, l’urgence est cependant d’agir sans tarder pour un ralentissement drastique des émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone le plus vite possible.
Que faire?
Le plus récent rapport de l’IPCC (GIEC)(4) nous dit clairement que nous pouvons, dans tous les secteurs (énergie, industrie, transport, habitat, constructions, urbanisme, agriculture, …) adopter de nouvelles pratiques.
Pour cela il faut des instruments de politiques publiques et une coordination entre les échelons de gouvernements et la société. Les flux financiers sont 3 à 6 fois inférieurs aux niveaux nécessaires d'ici 2030 pour limiter le réchauffement à moins de 1,5°C ou 2°C. L’écart entre investissement actuel et investissement nécessaire est plus grand dans les pays en développement mais il existe suffisamment de capitaux et de liquidités au niveau mondial pour combler ces écarts. Autrement dit nous avons les moyens de réorienter la société dans le sens d’un développement durable à l’échelle globale mais cela passe par une réduction drastique des revenus les plus riches. Notre seul problème c’est que nous ne le faisons pas, le système économique capitaliste (5) est obnubilé par la rentabilité à court terme tant dans les régimes démocratiques que dans les régimes dictatoriaux.
La planète Terre/Océan est unique dans le système solaire et peut-être dans l’Univers. Il n’y pas de planète B. Si Homo sapiens veut survivre il est temps d’inventer un mode de développement soutenable pour une population de
8 milliards d’habitants mais il y a EXTRÊME URGENCE !
Références
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Paul J. Crutzen et Eugene F. Stoermer, The “Anthropocene”, Global Change, NewsLetter, no 41 [archive], p. 17-18. IGBP, 2000.
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Yuval Noah Harari. Sapiens, une brève histoire de l’humanité. Albin Michel, 2013.
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Bruno Latour. Où atterrir ? La Découverte, 2017.
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https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-working-group-3/
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Thomas Piketty. Capital et idéologie. Seuil, 2019.