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Air du temps

REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE

1er mars 2023

Nucléaire

« Cette transition écologique qui vous fait peur, on peut la relever

parce qu'on a les meilleurs acteurs au monde pour le faire. »

Emmanuel MACRON, 27 novembre 2018

Dans le contexte de l’urgence climatique et de la nécessité d’atteindre aussitôt que possible la neutralité carbone, cet Air du temps s’ouvre sur une dédicace optimiste du président de la République s’agissant de la « transition écologique ».

Il veut en fait parler de la « transition énergétique ». En principe l’avenir énergétique de la France aurait dû faire l’objet d’un débat public mais dans les faits le gouvernement a déjà pris la décision d’investir dans le nucléaire sans que le débat soit réellement engagé dans l’opinion. Si on croit certains analystes l’atome vient au secours du « climat » mais quand on voit tous les lobbies pro nucléaires à la manœuvre et dans les médias on ne peut s’empêcher de penser que c’est plutôt le « climat » qui vient au secours de l’atome…

Vers une société plus sobre

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Figure 1. L’évolution de la consommation d’énergie en France en 30 ans selon RTE (2). A noter que l’énergie produite par la combustion des combustibles fossiles devrait diminuer drastiquement et que la consommation d’énergie électrique devrait devenir prédominante, Crédit : RTE 2021.

Pour décarboner l’économie française en 2050 le document du RTE (Réseau de Transport d’Electricité) montre que l’énergie totale consommée en France (Figure 1) doit diminuer de 40% par rapport à la consommation actuelle et que la priorité devrait être donnée à la consommation d’énergie électrique (55% du total). Y parvenir suppose une transformation drastique de notre mode de vie, y compris par une réduction conséquente de notre consommation de viande comme le recommandait déjà le Projet Alter Breton (1) en 1980.

Le choix des filières énergétiques n’est pas neutre

Choisir telle ou telle filière énergétique est tout à fait central car il conditionne l’avenir de la société française et de ses territoires. Ceci ne peut être défini sans une vision claire et à long terme de la société que nous voulons, notamment en matière d’économie (industrie, agriculture, pêche), de transports (terrestres, aériens et marins), d’occupation des territoire (villes vs. campagnes, mégapoles vs. villes moyennes), et de gouvernance. Je me réfère bien sûr ici à la vision que j’ai acquise lors de ma contribution à la rédaction du Projet Alter Breton (« Mieux vivre en Bretagne sans pétrole et sans nucléaire ») publié en 1980 (1), dans la foulée du Projet Alter Français élaboré en 1978 par le Groupe de Bellevue (Philippe Chartier, Philippe Courrège, Benjamin Dessus). Les deux projets se basaient sur les seules énergies renouvelables pour satisfaire aux besoins fondamentaux de la population et des différents secteurs économiques.

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Figure 2 : l’évolution de la consommation d’électricité en France en térawattheure (TWh) de 2019 à 2050. Remarquer la décroissance de la consommation du secteur résidentiel (effet isolation) et la spectaculaire croissance de celle du transport due à l’explosion du nombre de voitures électriques. Crédit : RTE 2021.

Dans ce débat sur la cohérence entre projets de société et filières énergétiques quatre documents récents me paraissent essentiels à prendre en considération : le rapport « Futurs énergétiques 2050 » commandé par Emmanuel Macron au Réseau de Transport Electrique RTE (2), « The Shift Project » de Jean-Marc Jancovici (3), la BD « Le monde sans fin » de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain (4), et l’ouvrage « Nucléaire : stop ou encore ? » d’Antoine de Ravignan (5). On lira également avec intérêt l’article « Les discours trompeurs de Jean-Marc Jancovici » paru dans Alternatives économiques de janvier 2023, sous la plume d’Antoine de Ravignan (6).

Pour satisfaire la forte demande d’énergie électrique à prévoir d’ici aux années 2050 (Figure 2), RTE propose 6 scénarios. Je retiendrai ici deux d’entre eux (Figure 3), le premier M0 basé sur l’utilisation exclusive des énergies renouvelables (éolien, solaire, etc…) et le second N03 qui, visiblement à la priorité du gouvernement, un mix d’énergie nucléaire et d’énergies renouvelables. Jancovici, quant à lui (3) (4), conscient de la radicalité de la transformation sociétale à subir pour atteindre rapidement la décarbonation de l’économie, prévoit que seul le déploiement du nucléaire peut nous permettre de « conserver une partie, et une partie seulement de ce que nous avons aujourd’hui », discréditant le solaire et l’éolien. Ce choix est très impliquant pour la France et pour notre économie et je le désapprouvre. Dans cet Air du Temps je démontre tous les inconvénients de cette filière. Dans l’Air du Temps suivant je montrerai les avantages du choix en faveur des énergies renouvelables.

Il est étonnant de constater la vitesse à laquelle notre société perd rapidement la mémoire à coup de communication et de manipulation de l’opinion. La filière nucléaire civile produit actuellement 70% de l’électricité en France. On sait qu’elle s’est développée en France après la filière nucléaire militaire qui se justifie pour des raisons stratégiques.

Les inconvénients majeurs de la filière à l’uranium :

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Figure 3 : Deux des scénarii du RTE 2050, M0 : tout énergie renouvelable et NO3 : mix de renouvelable et de nucléaire comportant la construction de 14 réacteurs EPR de 2000 MW. Crédit RTE 2021.

1- l’indépendance nationale :

nos approvisionnements en uranium viennent-il de France ? Non, la France n'exploite plus de mines d'uranium sur le territoire national depuis 2001 et importe l'intégralité de son uranium — actuellement environ 10 000 tonnes par an, provenant principalement du Kazakhstan, du Niger, du Canada, de l'Australie et de l'Ouzbékistan. Il n’y a pas besoin de rappeler ici les conséquences géostratégiques d’une dépendance de l’étranger en matière d’approvisionnement énergétique et la triste histoire de ses conséquences au présent et au passé s’agissant du pétrole et du gaz. Il ne faut décidemment pas reproduire ce schéma. La possibilité prometteuse de recycler du combustible nucléaire à partir du matériau « usé » n’est pas vraiment mise en œuvre. Pire, elle dépend de la Russie (complexe nucléaire Maïak)…

Il est essentiel de comprendre que la filière nucléaire civile n’est pas une filière industrielle classique car elle est spécifique de trois points de vue. 

2-La filière nucléaire civile exige des investissements massifs et centralisés qui la rendent peu flexible. Investir dans cette filière, c’est s’embarquer à bord un immense tanker qui, du fait de son inertie, même si son moteur s’arrête, poursuivra sur son erre pendant longtemps sans que le pilote puisse en modifier le cap. Faire un tel choix aujourd’hui c’est faire subir à ses enfants et petits-enfants les conséquences de nos décisions à court terme. Force est de constater que, depuis que la filière nucléaire française a été lancée par Valéry Giscard d’Estaing (1966), depuis plus d’un demi-siècle donc, son développement a bloqué en France la recherche et le développement des énergies renouvelables car elle a exigé, et continue à exiger, un niveau d’investissements publics considérables. La France s’est enfermée dans la technologie des réacteurs nucléaires à eau pressurisée (EPR) dont les nouvelles versions rencontrent de nombreuses difficultés technologiques en engendrant de faramineux surcoûts. La mise en service de l'EPR de Flamanville (1650 MW) devrait en fait coûter 19,1 milliards selon les calculs de la Cour des comptes, soit près de six fois plus cher que prévu au lancement du projet. Démarrée en 2007 cette centrale nucléaire aurait dû être construite en cinq ans. Quinze ans plus tard elle n’a toujours pas démarré. La situation financière d’EDF est décidément plombée par l’EPR de Flamanville…

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Figure 4-Deux points sensibles de la filière nucléaire : 1-les minerais d’uranium sont importés de l’étranger 2-elle génère des déchets radioactifs dont certains ont une période de demi-vie de plusieurs centaines de milliers d’années. Crédit Média Larousse, modifié par PT.

Au total, les investissements demandés dans le nucléaire pour la prolongation des centrales anciennes et la construction de nouvelles est de l’ordre de 100 milliards d’euros (5) dont une très grosse part sur la prochaine décennie. Pour atteindre les objectifs du scénario N03 du RTE, les trois paires de nouvelles centrales EPR qu’EDF envisage de construire, ne seront opérationnelles qu’en 2040-2050 (5). Mais EDF doit en même temps doubler ses capacités de production d’énergies renouvelables d’ici à 2030 pour atteindre les objectifs du scénario NO3. De nombreux experts doutent que le plan du gouvernement puisse être réalisé, si ce n’est au dépens des énergies renouvelables.

3-Une autre caractéristique de la filière nucléaire est la très longue durée nécessaire pour démanteler les centrales une fois qu’elles sont obsolètes (après 40 à 60 ans de fonctionnement). Pour les démanteler il faut s’engager dans des opérations de longue haleine (plusieurs décennies), constituant des défis pour les exploitants en termes de gestion de projets, de maintien des compétences et de coordination des différents travaux (5). En Bretagne nous avons tous en mémoire la douloureuse et interminable expérience du démantèlement de Brennilis. Il s’agit pourtant d’une bien modeste centrale (75 MW). Au niveau mondial, 208 réacteurs sont actuellement à l’arrêt. Il faut pourtant toujours les refroidir et les surveiller. Seules 22 unités ont été démantelées depuis le début du nucléaire civil dont 10 avec retour à la nature. « Entre la construction, l’exploitation, et le démantelement, une centrale nucléaire à une durée de vie d’environ un demi-siècle », constate Mycle Schnider, expert su WNRIS (World Nuclear Strategy Industry Status), et il est optimiste.

4-La manipulation quotidienne de la radioactivité n’est pas chose facile et exige des conditions de sécurité exceptionnelle, quasi militaire, qui opère sous le contrôle d’un régime centralisé, et ce n’est pas un hasard si les régimes russes et chinois misent sur cette filière énergétique. C’est en effet une activité industrielle totalement encadrée et qui n’a pas droit à l’erreur ni dans le concept ni dans la pratique quotidienne. L’expérience (Three Miles island aux Etats-Unis en 1979, Tchnernobyl en ex-URSS en 1986, Fukishima au Japon en 2011) montre que des accidents peuvent arriver. Ces trois accidents sont les plus célèbres et les plus impactants (ils sont classés respectivement 5, 7, et 7 sur l’échelle internationale INES des évènements nucléaires (échelle de 1 à 7) mais on oublie souvent de parler de 11 autres accidents avec fusion partielle du cœur dont deux en France à Saint-Laurent-des eaux en 1969 et en 1980 (4). Aucun de ces accidents n’était anticipé par les calculs de probabilité qui prévoient que le risque d’accident est infinitésimal…

5-La filière nucléaire génère des déchets sur le long terme, dont certains sont radioactifs pour des centaines de milliers d’années. Actuellement ces déchets sont stockés à l’usine de retraitement de La Hague où les combustibles usés très radioactifs sont stockés dans des piscines émettant par effet Cherenkov une lumière bleue caractéristique. L’Andra souhaite ouvrir dès que possible un stockage dans les couches profondes du sol à Bure (Meuse). Ces déchets représentent une petite part du volume total des déchets radioactifs : 0,2 % pour les déchets de haute activité et 3% pour ceux de moyenne activité à vie longue, mais ils concentrent au total près de 99,9 % de la radioactivité de l’ensemble des déchets radioactifs. En raison de risques potentiels pour les humains seuls des robots seront habilités à manipuler les conteneurs de déchets.

Faut-il minimiser ces risques ? C’est ce que fait Jancovici et Blain (4) attirant dans leur sillage les élèves d’écoles d’ingénieurs qui avaient commencé à s’orienter vers les filières de développement durable. Leur BD est « sympa » mais elle est totalement surréaliste. Exemple : « En France (je cite) nous avons fait tout ce qu’il faut pour que Tchernobyl et Fukushima soient impossibles ». « Pour Tchernobyl, une trentaine de morts à bref délai…6000 personnes qui étaient enfants au moment de l’accident ont développé un cancer de la tyroïde. La chance, …c’est que c’est un cancer qui se traite bien. ». Un tel cynisme disqualifie les auteurs. Pour avoir manipulé des composés radioactifs au laboratoire je sais qu’il ne faut jamais prendre la radioactivité à la légère. Qui peut garantir à nos descendants, sur des milliers d’années, que ce que promet Jancovici et Blain (les risques d’accidents nucléaires dans les centrales françaises sont infimes) est effectivement vrai? En cas de sécheresse (contexte de changement climatique) les centrales nucléaires refroidies par l’eau des fleuves peuvent-elles continuer à produire de l’énergie ? Quand on voit l’évolution du monde où chacun fourbit ses armes pour des guerres classiques ou hydrides, qui peut garantir qu’à une échelle de décennies, de siècles, ou de millénaires un dirigeant aussi fou que Poutine ne réussira pas à détruire une centrale nucléaire d’un pays ennemi?

Au nom de quoi devrions-nous adopter un tel mode de production centralisé et prendre de tels risques pour nous et pour les générations futures ?  Ce qui est étrange en tout cas c’est que les nucléaristes avaient le choix entre la filière de l’uranium et celle du thorium. Cette dernière filière utilisant des réacteurs à neutrons rapides a notamment été proposée par le prix Nobel de Physique 1984 Carlo Rubbia (6).  Elle présente des avantages déterminants, en termes de disponibilité de la ressource, de flexibilité, de quantité d’actinides mineurs hautement radioactifs (ce sont des atomes lourds : neptunium, américium, curium, produits par captures successives de neutrons par le plutonium) produits au cours du cycle du combustible, de même qu’en termes de radiotoxicité à différentes étapes du cycle et des rejets (6). Pourquoi n’ont-ils pas fait ce choix ? Est-ce en raison des liens étroits entre filières civiles et militaires ?

Bien sûr les centrales nucléaires jouent le même rôle que les centrales thermiques classiques en assurant (avec d‘ailleurs un fort mauvais rendement comme nous l’enseigne les lois de la thermodynamiques) une production d’électricité en principe continue. Mais heureusement nous pouvons faire autrement. C’est que nous verrons dans le prochain Air du Temps.

Références :

  1. Le Projet Alter Breton, imprimerie du PSU Morlaix 1980.

  2. RTE, Futurs Energétiques 2050 (2021)

  3. J.-M. Jancovici, The Shift Project, Le plan de transformation de l’économie française, Odile Jacob (2022)

  4. J.M. Jancocvi , C. Blain, Le monde sans fin, Dargaud (2021)

  5. A. de Ravignan, Nucléaire : stop ou encore, Les petits matins (2022)

  6. J.-M. Loiseaux et al., La filière thorium, une option intéressante pour le nucléaire du futur, C. R. Physique 3 (2002) 1023–1034.

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