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Air du temps

REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE

1er avril 2022

De Pearl Harbor à la rade de Brest

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Pearl Harbor (Hawaii), 17 février 2002. Au second plan, le mémorial qui chevauche le cuirassé USS Arizona, l’un de nombreux navires coulés par les avions japonais lors de l’attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941 ; à Pearl Harbor, à bord du cuirassé USS Missouri sur lequel furent signés les actes de capitulation du Japon, le 2 septembre 1945; ils mirent fin à la Seconde Guerre mondiale (crédits : Paul Tréguer).

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17 décembre 1941 : l’escadrille n°25 de bombardiers anglais Halifax attaque les croiseurs cuirassés allemands Scharnhorst et Gneisenau (sous les fumées générées par les tirs de la DCA) en cale sèche dans le port militaire de Brest (crédit : Royal Air Force).

7 décembre 1941.

Des chasseurs « Zéros », des bombardiers en piqué « Val », et des bombardiers – torpilleurs « Kate » attaquent et coulent une bonne partie de la flotte américaine ancrée dans le port de Pearl Harbor (Hawaii). Le 17 décembre de la même année, à Brest, des bombardiers anglais « Halifax » tentent de toucher le Scharnhorst et le Gneisenau, deux croiseurs cuirassés fleurons de la flotte allemande immobilisés en cale sèche. C’est la guerre. Et quelle guerre : la Seconde Guerre mondiale !

Avec l’attaque de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, l’Europe est replongée dans un cortège d’horreurs et de destructions.

En 2018, Yuval Harari(1) écrivait qu’ « au XXIème siècle, la violence humaine n’a causé que 1% des morts, contre 15% dans les premières sociétés agricoles et 5% au XXème siècle. C’est la période la plus pacifique de l’humanité. »…

Il semble bien qu’il ait été trop optimiste.

Dans cet Air du temps mon but n’est pas de parler des pertes humaines mais des impacts des guerres « modernes », et au-delà des activités humaines, sur l’environnement et en particulier sur les écosystèmes côtiers.

Il a parfois été écrit que pendant les périodes de guerre les efforts de pêche, particulièrement au large, diminuent ce qui permettrait la reconstitution des stocks halieutiques, aspect positif donc. Par contre pour les zones côtières adjacentes aux ports militaires il en va tout autrement et les sédiments gardent la trace des perturbations du milieu marin. Ainsi, à Pearl Harbor des anomalies de plomb et de chrome coïncident avec la date du bombardement japonais du 7 décembre 1941. De même pour la rade de Brest, ville détruite au trois-quarts par le déversement de plus de 30 000 tonnes de bombes de 1941 à 1945. Ce déversement, joint à celui d’un trafic naval militaire intense et à celui de la construction de la base sous-marine de Laninon, s’est traduit par des concentrations anormalement élevées en nickel et en chrome dans les eaux de mer dont les sédiments de la rade datant de cette période ont gardé la trace. A haute dose, plomb, chrome et nickel perturbent les organismes marins et sont toxiques pour l’homme. Des sédiments plus récents de la rade de Brest gardent eux la trace d’une contamination due au mercure dont l’origine n’est pas identifiée. Une contamination au mercure est également enregistrée pour la rade de Toulon (2) qui abrite le premier port militaire français. Elle est généralement attribuée à l’utilisation du fulminate de mercure (Hg(CNO)2) comme détonateur dans les explosifs (3). Le mercure (sous forme de méthyl-mercure) est devenu tristement célèbre depuis le drame de Minamata (rejets industriels qui ont provoqué de graves impacts neurologiques pour les habitants de ce petit port japonais).

Du Moyen-Age à nos jours

Les sédiments qui accumulent des dépôts de diverses natures gardent donc la trace des perturbations de l’environnement marin, mais aussi de l’évolution de leur biodiversité. Ainsi, pour la rade de Brest, des carottes de sédiments prélevées en trois sites permettent, grâce aux techniques de génomique (métabarcoding), de reconstituer les communautés planctoniques (4) qui florissaient dans la rade depuis le Moyen Age (il y a 1400 ans) et de relier leurs variations à celle de perturbations de l’environnement mises en évidence par des analyses chimiques.

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La rade de Brest : un système semi-fermé de 180 km2, peu profond (en moyenne 8 m), ouvert sur l’océan Atlantique par un goulet profond (50 m). Elle est soumise aux perturbations dues aux activités humaines, principalement industrielles (de la ville de Brest) et agricoles (par les bassins versants notamment ceux des fleuves Aulne et Elorn). Trois carottes de sédiments ont été prélevés BH, EE, DE) (crédit : Siano et al. 2021) (4).

Du Moyen-Age jusqu’aux années 1940-1950, la biodiversité de la rade de Brest a considérablement évolué. A l’issue des années cinquante, il faut noter en particulier la quasi disparition de groupes d’espèces planctoniques jusqu’alors prédominants, pour laisser la place à d’autres groupes d’espèces (4).

Ces changements drastiques seraient les effets successifs et combinés de pollutions métalliques dues à la Seconde Guerre mondiale et au développement intense des activités industrielles sur la bordure nord de la rade de Brest et agricoles (engrais azotés, PCB - polychlorobiphényles), principalement sur les bassins versants de l’Aulne et de l’Elorn. Parmi les assemblages planctoniques désormais favorisés figurent par exemple les micro-organismes toxiques comme Alexandrium minutum dont les efflorescences régulières notamment estivales conduisent à l’interdiction de vente des coquillages. Accumulée par les huitres et autres bivalves qui se nourrissent de plancton ces micro-organismes les rendent impropres à la consommation, en raison des risques de syndromes neurologiques et paralysants puissants pour l’homme (5).

Un village de sages Gaulois

Lors de la phase préliminaire au projet immobilier de la ZAC de Kerlinou (sur le bord occidental de la commune de Brest), sur le versant tombant vers le sud-ouest, vers la plage de Sainte-Anne-du-Portzic, les terrains débarrassés de leur couverture végétale ont révélé un village datant du temps des Gaulois. Je me suis évidemment précipité vers la poubelle. Une poubelle en effet c’est un peu comme des archives laissés par les hommes. C’est le témoin de leur histoire et de leur vie quotidienne. Celle de la Torche (Finistère sud) par exemple est vraiment intéressante : elle révèle la grande diversité des ressources marines dont se nourrissaient les peuples préhistoriques à la fin du dernier âge glaciaire (huitres, palourdes, coques, bigorneaux, patelles, crabes, poissons, coquilles Saint-Jacques, couteaux, …). Surprise, celle de Kerlinou, ne contient que des coquilles de patelles (« chapeaux chinois »). Des collègues biologistes interprètent ce fait en disant que les Gaulois étaient des hommes sages. En effet, contrairement aux huitres et aux moules les patelles ne se nourrissent pas par filtration du plancton mais en broutant les thalles des algues. Par conséquent, ne consommant pas d’huitres ou de moules capables d’absorber du plancton toxique les Gaulois ne pouvaient être victimes d’intoxication alimentaire. Autre explication possible : les Gaulois nourrissaient leurs porcs domestiqués aux patelles. Eux, se nourrissaient de mets plus fins mais dont je n’ai pas trouvé trace.  Je vous laisse choisir la bonne interprétation…

Ces changements sont-ils irréversibles ? Contrairement à ce qui a été écrit ((4) (5)), je ne le pense pas. En effet, la rade de Brest est située dans une zone macrotidale (à fortes marées) et de ce fait elle présente un fort taux de renouvellement. Pour renouveler ses eaux par celle de l’Iroise il faut environ un mois, à comparer aux 25 ans nécessaires pour renouveler celles de la mer Baltique. Malgré les rejets importants d’azote (principalement dues aux activités agricoles) ou de phosphore (principalement dues aux activités urbaines), la rade de Brest n’est pas actuellement « eutrophisée », c’est-à-dire qu’il n’existe nulle part de zone dépourvue de dioxygène dissous de façon permanente.

Si les acteurs économiques et territoriaux décidaient d’adopter une gestion écosystémique des ressources terrestres et côtières une évolution vers un nouvel état d’équilibre de la rade de Brest est tout à fait possible. Nous avons désormais suffisamment des connaissances scientifiques pour supporter un tel effort. La mise en œuvre d’une telle gestion pour les ressources marines ne dépend que de nous. C’est ce qui a été souligné lors d’un atelier de One Ocean Summit à Brest en février 2022.

Références :

  1. « Vingt-et-une leçons pour le XXIème siècle ». Yuval N. Harari, Albin Michel (2018)

  2. Thèse d’Erwan Tessier, Université de Toulon (2012)

  3. Arbestain et al., Applied and Environmental Soil Science (2009) 10.1155/2009/387419.

  4. Siano et al., Current Biology, 31, 1-8 (2021)

  5. « Dans la rade de Brest, les effets irréversibles de la pollution humaine sur le plancton ». The Conversation, 5 décembre 2021.

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