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Air du temps

REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE

1er février 2022

DES MURS ET DES HOMMES

On nous demande d’aimer ou de détester… tel ou tel peuple.

Mais nous sommes quelques-uns à trop bien sentir

 nos ressemblances avec tous les hommes pour accepter ce choix.

Albert CAMUS. Actuelles.

Drôle de siècle. Partout des murs physiques ou idéologiques se dressent, tentant de limiter les migrations et les « invasions », particulièrement vers l’Europe. Sont-ils efficaces ? Il n’est pas inintéressant de revenir sur l’Histoire et sur les transferts de populations dans les siècles passés…

 

Le mur des dix mille li

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La grande muraille de Chine en décomposition en février 1931 (crédit : Thomas Le Bris) ; la grande muraille le 16 avril 2011, rénovée sur le site de Mutianyu dans le district de Huairou, à 70 km au nord-ouest de Beijing (crédit : Paul Tréguer).

Février 1931.

 

Un peu plus de vingt ans après Victor Ségalen (1), Thomas Le Bris, premier maitre à bord du croiseur français « Waldeck Rousseau », fait escale à Shanghai. En pleine nature, non sans difficulté, il parvient jusqu’à la muraille de Chine (1). Il en rapporte des photos argentiques uniques  révélant une massive construction qui s’étire de tours en tours, parfois envahie par la végétation et ici et là délabrée. Edifiée dans sa partie ouest par les Qi du nord au milieu du VIe siècle par empilement de couches successives de pisé et de roseaux, à partir du XIVe siècle, sous les Ming elle est construite à l’aide de blocs de granite couronnés de briques. L’accès à la Muraille est désormais bien plus simple qu’au début du XXe siècle. De Beijing, en un peu plus d’une heure, un bus vous mène aux sites recommandés aux touristes étrangers, soit au col de Juong, soit à Mitianyu, dans le nord-ouest de Beijing, où l’ouvrage a été restauré sur plus de 80 kilomètres. J’ai visité les deux sites.

Le premier en novembre 2001, soit quarante-deux ans après la mort de Mao Zedong, le second en avril 2011. Doté de vingt-deux tours de guet, à Mutianyu la Grande Muraille est un long serpent de pierre qui suit la ligne de crête, dominant de 8 mètres les flancs des collines. C’est le printemps. La végétation, enrichie de blanches fleurs de pommiers, a pris son envol, magnifiant un paysage tourmenté. Dans les tours de guet qui culminent à douze mètres de hauteur il n’est pas rare d’apercevoir, soulevée par le vent, la robe de tulle blanche d’une jeune mariée vêtue à l’occidentale, et dont le compagnon respire le bonheur. Cet ouvrage défensif fut-il efficace contre les nomades du nord ? Relativement peu en cas d’invasion massive. Ainsi au XIIIe siècle il n’a pas empêché l’invasion mongole conduite par un Gengis Kahn qui, peu impressionné par cet ouvrage de défense déclare : « La solidité d’un rempart dépend du courage de ceux qui le défendent. » Malgré le dragon de pierre, au XVIIe siècle, les Qing, des Mandchous, ont bouté dehors les Ming. Par contre la Muraille « dite des 10 000 li » s’est avérée efficace pour déclencher des alertes à partir de ses tours de guet et pour permettre aux renforts d’arriver plus rapidement sur les sections prises à partie par un ennemi en nombre restreint. Sans équivalent à l’échelle mondiale, en cette première moitié du XXIe siècle la Grande Muraille est devenu un élément central du patrimoine de la Chine éternelle.

Le mur de Berlin

 

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30 mai 2007. La porte de Brandebourg, un des symboles majeurs de la capitale allemande, faisait partie intégrante du mur de Berlin (1961-1989) qui séparait l’Allemagne de l’est des secteurs occupés par les occidentaux; à gauche: balise du « Mauerweg », délimitant le tracé du mur le long de la rivière Spree (Crédits : Paul Tréguer).

30 Mai 2007

 

Des manifestants de la Ligue allemande des Droits de l’Homme, brandissant les bannières de Solidarnosc, s’apprêtent à franchir la porte de Brandebourg. Ils protestent contre la menace du gouvernement polonais de priver de leurs droits civiques Bronislaw Geremek et Tadeusz Mazowiecki, figures emblématiques de la lutte de libération du peuple polonais. La porte de Brandebourg (« Brandenburger Tor ») est devenue un symbole de la liberté. Partie intégrante du « mur de Berlin », elle fut pourtant pendant presque trois décennies celui de l’oppression et celui de la « guerre froide ».

A l’issue de la 2ème guerre mondiale, les vainqueurs divisent l’Allemagne en deux nations, l’Allemagne de l’Ouest (la Bundesrepublik) sous-influence des Etats-Unis d’Amérique, et l’Allemagne de l’est (la République Démocratique Allemande, RDA) sous influence soviétique. Dès 1949, peu après le coup d'état communiste en Hongrie, un "Rideau de fer" est mis en place entre

« l’Est » et « l’Ouest », constitué d'une double rangée de fils de fer barbelés, renforcée par plus d’un million de mines. Berlin, l’ex capitale du Reich, n’est plus qu’un enclos dans la RDA, divisé en secteurs d'occupation. Berlin-Ouest comprend les zones gérées par les États-Unis, la France, et le Royaume-Uni.

 

De 1949 (année de la création de l’Allemagne de l’Est) à 1961, plus de 3,5 millions de d’Allemands de l’est passent à Berlin ouest. Pour endiguer la fuite des cerveaux et des bras, dans la nuit du 12 au 13 août 1961, des milliers de soldats de la RDA bloquent les rues et les voies ferrées et déroulent des barbelés et des grilles tout autour de Berlin-ouest. Dans les semaines qui suivent, un mur de béton et tout un dispositif de sécurité, de 155 km de long, sort de terre.  Des Allemands de l’est tentent de le franchir: 136 d’entre eux y perdent la vie.


9 novembre 1989: le mur de Berlin est définitivement abattu par une foule en liesse et la porte de Brandebourg est débarrassée de ses annexes barbelées. La RDA s’effondre. L’Allemagne est réunifiée. L’obstacle physique n’a pas résisté au désir de liberté profondément ancré en chaque allemand de l’est, comme il l’est en chacun d’entre nous.

Quand l’Europe envahissait le reste du monde…

2022. L’Europe, malgré ses insuffisances, exerce un pouvoir de fascination sur les Africains pour lesquels elle représente un paradis. Parallèlement le Moyen-Orient est en crise permanente (Irak, Syrie, Liban, …). L’Europe, c’est en effet l'espace Schengen. Un espace qui comprend les territoires de 26 États européens (22 États membres de l'Union européenne, et 4 États associés, membres de l’AELE, et Gibraltar) qui ont signé en 1985 et en 1990 l'accord de Schengen et la convention de Schengen (Luxembourg). Cet espace fonctionne comme un territoire unique en matière de voyages internationaux et de contrôles frontaliers, où le franchissement des frontières intérieures s'effectue librement, sans passeport, sans contrôle.

Pour tenter de résister aux flux de migrants via la mer Méditerranée et la mer Egée, les nations de l’est de l’Europe s’entourent de murs barbelés. Dans tous les pays de l’Union Européenne des leaders nationalistes appellent à l’exclusion d’hommes, de femmes et d’enfants parce qu’ils ne sont pas comme nous et qu’ils n’ont donc pas leur place en Europe.

Paradoxe de l’Histoire, les peuples d’Europe n’ont pas de mémoire. Ils oublient volontiers que dans la deuxième moitié du XIXe siècle pour des raisons économiques et/ou dans l’espoir d’une vie meilleure, ils ont envahi le reste du monde (figure ci-dessous) : les migrations d’Européens vers les Amériques se comptent par dizaine de millions, et vers l’Afrique du nord ou vers l’Afrique du sud par millions. Ni l’Asie, ni l’Australie, ne sont épargnées par ces flux migratoires d’Européens.

A part quelques aventuriers animés d’un irrépressible désir de découvrir la planète, nul ne migre spontanément et pour toujours vers une autre contrée s’il est heureux chez lui, c’est-à-dire si ses besoins élémentaires sont satisfaits, dans lesquels j’inclus volontiers le besoin de liberté.

 

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Un Afghan à Paris:

 

Ces migrations génèrent pour les migrants des traumatismes dont peu d’êtres sortent indemnes psychiquement et physiquement. Rares sont ceux qui s’adaptent rapidement à un brutal changement de culture.

A ce sujet je vous recommande la lecture de l’ouvrage de Mahmud Nasimi

« Un Afghan à Paris » (2). Laissant derrière lui, en 2013, un pays déchiré par la guerre, il parvient à faire fi de difficultés que plusieurs auraient considéré comme insurmontables. Arrivé à Paris il devient « réfugié », passant ses nuits dans la rue, éprouvant solitude et désespoir. Trouvant abri au cimetière du Père-Lachaise, il découvre Balzac, Proust, Eluard, Victor Hugo, … et plus tard Jacques Brel, et Georges Brassens. Il apprend le français et publie ce livre magnifique. Un appel à la découverte de la culture des autres et à la tolérance.

Comment mettre un frein à ces migrations ? Certainement en faisant en sorte que l’Afrique prenne son essor économique et culturel, et que le Moyen Orient trouve une stabilité dans la coexistence de peuples et de cultures qui à priori semblent si différents mais qui pour vivre n’ont pas d’autre choix que la tolérance.

De nouvelles pages d’Histoire à écrire, où nous pouvons prendre notre part…

  1. Paul Tréguer, Dans les pas de deux géants. Librinova, 2020

  2. Mahmud Nasimi, Un Afghan à Paris. Les éditions du Palais, 2021

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