Air du temps
REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE
1er novembre 2021
ÉNERGIES
« Il est possible de faire de la fusion comme dans les étoiles… mais sur Terre ! » déclare Daniel Vanderhaegen, de la direction des applications militaires (Dam) du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). En effet, le 8 août 2021, le National Ignition Facility (NIF) en Californie a réussi une expérience de fusion nucléaire. Pendant un temps très court (20 milliardième de seconde), la quantité d’énergie produite par la fusion s’approche de celle dépensée pour créer les 192 faisceaux laser qui ont bombardé une minuscule sphère remplie d'isotopes d'hydrogène, de deutérium et de tritium, elle-même logée dans un petit cylindre d'or.
C’est à la fois un événement, car comme dans les étoiles les chercheurs ont réalisé la fusion donnant naissance à de l’hélium et méritent un grand bravo, et un non évènement, car, en l’état, cette potentielle filière énergétique, qui présente l’avantage de ne produire aucun déchet de haute activité à vie longue, est très loin d’un objectif opérationnel. En effet, la réalisation de centrales opérationnelles pour produire de l’énergie électrique n’est sans doute pas envisageable avant la fin de ce siècle.
Vers de multiples mini centrales nucléaires…

Répartition des centrales nucléaires basées sur la fission, concentrées pour l’essentiel dans l’hémisphère boréal
(Crédit : Le Monde 11 octobre 2021).
Le parc nucléaire français en 2020, dont en rouge à Flamanville le site de l’EPR, en construction (Crédit : EDF, RTE) ; le projet de stockage long-terme de déchets nucléaires à Bure (France) (Crédit : The Conversation).
Les partisans du nucléaire vous diront que ce n’est pas un problème car les centrales basées sur la fission de l’uranium font le job. Sauf qu’une telle fission est productrice d’isotopes à très longue période, dont la radioactivité se maintient de façon appréciable sur des dizaines voire sur des centaines de milliers d’années, problème à gérer par les générations futures …Cette filière (Figures ci-dessus) est définitivement non recommandable, quelle prenne la forme de centrales nucléaires classiques, ou de type EPR (Réacteur Européen Pressurisée) (voir figure ci-dessus) ou de multiples mini-réacteurs, les SMRs (Small Modular power Reactors) de 3 à 57 MW, projet dont les médias se font l’écho depuis quelques mois. Pour persuader l’opinion de l’intérêt de ces SMRs, leurs promoteurs, flingueurs à tout va de toute forme d’énergie renouvelable, s’appuient sur l’imaginaire du « small is beautiful ». Mais pour produire l’équivalent en énergie d’une seule centrale nucléaire classique (1000 à 1700 MW) il faudrait implanter le long des fleuves ou du littoral de 3 à 57 mini-réacteurs.
D’une part, un tel projet aboutit de fait à la dissémination territoriale de l’énergie nucléaire et, d’autre part, il ne résout nullement le problème du devenir des déchets nucléaires dont les promoteurs se gardent bien de parler ou si peu.
…ou vers l’extension des énergies renouvelables ?
Le changement climatique s’accélère. Pour rester dans une trajectoire d’une augmentation de à 1,5°C avant la fin du siècle, nous ne devrions émettre que
325 Gigatonnes de CO2. Or au rythme actuel d’émissions de gaz à effet de serre, ce sera fait en 8 ans. Il est donc désormais possible que la température moyenne de la surface de la planète Terre augmente de 2,7°C, si nous n’infléchissons pas drastiquement la trajectoire énergétique actuelle.
Produire des énergies non carbonées (sans production de gaz à effet de serre) est devenu une absolue priorité. La transition vers la production d’énergies renouvelables (soleil, vent, eau) est plus que jamais à l'ordre du jour, y compris en France. Pour atteindre la neutralité carbone en France en 2050 RTE (Réseau de Transport Electrique) filiale du groupe EDF vient récemment de proposer 6 scénarios de transition énergétique d’ici à 2050 (1), qui tous prévoient le recours aux énergies renouvelables.
Les prévisions de RTE en matière de besoin en énergie électrique pour la France varient de 550 à 770 Téra watt-heure (TWh) selon le degré de sobriété du nouveau mode de vie et de l’intensité de la production d’hydrogène notamment pour les transports. Pour satisfaire cette demande il faut installer une puissance électrique totale variant de 187 Giga watts (GW), si 50% de l’énergie est produite à partir de réacteurs nucléaires à fission, à 344 GW, si toute l’énergie est produite à partir des énergies renouvelables (solaire, éolien terrestre et marin).
Dans les discussions à l’échelle européenne, le gouvernement français fait du lobbying pour faire inclure l’énergie de la fission nucléaire dans le package des énergies renouvelables… autrement dit il fait du « green washing ».
Un rapport publié le 25 janvier 2021 par les groupes de réflexion (think tanks) allemand Agora Energiewende et britannique Ember, montre que 38% de l'électricité de l'Union européenne ont été produits en 2020 grâce aux énergies renouvelables, dépassant pour la première fois celle provenant des énergies fossiles (37%, Figure ci-dessous).
C’est une bonne nouvelle, car l’utilisation de ces énergies renouvelables a permis de ne pas lâcher dans l’atmosphère 22 millions de tonnes de CO2 (selon le bilan 2019 de RTE) mais l’effort est insuffisant pour espérer atteindre l’objectif de la neutralité carbone en 2050, affiché par l’Union Européenne (Air du Temps du 15 novembre 2020). Pour y parvenir, il faudrait carrément tripler la production éolienne et solaire, précisent les deux groupes de réflexion.

Figure : Union européenne : part de l’électricité produite à partir des énergies fossiles, nucléaire ou renouvelable (Crédit : Ember) ; Champ d’éoliennes dans les Monts d’Arrée (Finistère)
(Crédit : Paul Tréguer).
En Europe l’effort éolien se poursuit chez les 27 états membres de l’UE qui ont installé 10,5 GW de nouvelles capacités en 2020, dont 80 % sur terre et 20 % en mer. « L’éolien terrestre continuera à dominer largement le secteur, au moins jusqu’à 2050 », souligne Giles Dickson, (PDG de l’association d’entreprises Wind Europe 25 février 2021).
L’effort est cependant très inégal selon les pays d’Europe. La France, plus que jamais engluée dans un choix pro-nucléaire, lourd de conséquences pour les générations futures, reste décidément à la traine.
La production d’énergie électrique par voie solaire ou éolienne est certes intermittente et, dans l’attente de la mise au point de super-condensateurs en plein développement (exemple : Société SVOLT à Changzhou, mise en service d’un tramway à super-condensateurs à Zhuzhou, en Chine), le stockage de l’énergie électrique produite par voie traditionnelle n’est pas simple (batteries, couplage hydraulique, électrolyse de l’eau avec production d’hydrogène, etc…). La tendance en Europe est à l’interconnexion des réseaux de production d’énergie renouvelable (Projet Supergrid), car il y a toujours du vent ou du soleil quelque part en Europe, que ce soit au sud ou au nord, à l’est ou à l’ouest.

Figure : Extension maximale du projet Supergrid reliant, à terme, les réseaux de production d’énergie renouvelable en Europe (et au-delà, en Afrique du Nord). La transmission se fait sous haute tension permettant de ne perdre que 1,6% de l’énergie transportée par 1000 km (Crédit: DESERTEC Foundation, www.desertec.org); aux Etats-Unis, le réseau de 765 kV permettant de relier entre elles les sources de production d’énergie éolienne; il permet de transporter 400 gigawatts (GW)
(Crédit : https://en.wikipedia.org/wiki/Super_grid#cite_note-8)
Ceci permet de contrer l’argument traditionnel des pro nucléaires sur le défaut de non stockage des énergies renouvelables, et sur la nécessité de maintenir ou construire des centrales nucléaires supplémentaires pour amortir les fluctuations de production.
Empreinte paysagère
Tous les systèmes de production d’énergie renouvelable, qu’il s’agisse de l’éolien ou du solaire, ont une évidente empreinte paysagère.
Rien de bien nouveau, en fait. De longue date en effet, au cours de son expansion l’espèce Homo sapiens n’a cessé de modifier les paysages de la planète Terre: réduction drastique des forêts, construction de moulins à vent pour extraire l’énergie éolienne, ou de moulins à marée pour utiliser l’énergie marémotrice, implantations industrielles massives peu soucieuses de leur esthétique, création de terrils générés par l’extraction du charbon, construction de barrages pour la production d’énergie hydroélectrique, de plateformes d’extraction pétrolières et gazières en mer….
« Oui, les éoliennes, cela se voit. Et oui, les champs solaires, cela se voit. Mais pourquoi ne pas nous dire que ce sont des composantes du paysage de l’après-pétrole ? Que voulons-nous à la fin ? Faire disparaître les énergies fossiles de notre bilan énergétique ou pas ? » déclare Michel Giora, délégué de France énergie éolienne (2).
Propos que je reprends volontiers à mon compte, d’autant que personnellement je trouve très élégantes les éoliennes, à terre ou en mer.
(2) Propos rapportés par « Alternatives économiques », N°416, octobre 202.