top of page

Air du temps

REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE

1er novembre 2023

 Le projet Manhattan 2 

Figure 1 615e0d1_1697060005779-ih-capapictures-pgldrone091020-12.jpg

Figure 1.   Le 11 octobre 2023, trois éoliennes flottantes sont installées en face de Port-Saint-Louis-du-Rhône (Bouches-du-Rhône) (Crédit : Ian Hanning/ Provence Grand Large/ Capa Corporate). 

Résumé :   Un groupe de scientifiques de renom conduits par le Prix Nobel de physique Alain Aspect et le biologiste Eric Karsenti, médaille d’or du CNRS, propose au gouvernement de lancer un projet « Manhattan » pour la transition écologique et décarboner d’urgence l’économie française. Pour cela il faut transférer le savoir-faire de la recherche aux secteurs économiques, un effort à la hauteur de 1% du PIB. Les promoteurs du projet ont été reçus par le gouvernement. 

 Le Medef vit-il dans un monde réel ? 

Jean Jouzel, invité à l’université 2023 du Medef, rappelait l’urgence d’entreprendre une transition écologique sans concession : « pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, nous n’avons plus que cinq ans d’émissions au rythme actuel », avec pour conséquence immédiate d’arrêter d’investir dès maintenant dans les énergies fossiles, comme le martèlent le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et l’Agence internationale de l’énergie. Il s’est vue rétorqué par Patrick Pouyanné, le PDG de Total Energies (1) : « Cette transition, …elle prendra du temps. J’assume de poursuivre mes investissements pétro-gaziers car la demande croît. Je respecte l’avis des scientifiques mais il y a la vie réelle. ». Ce à quoi Jean Jouzel a répondu qu’il vivait pour un monde réel à +4°C. 

Aucun doute, si nous voulons limiter le réchauffement climatique il faut d’urgence s’engager dans une société plus sobre et passer aux énergies renouvelables. Mais de la parole aux actes politiques il y a un grand pas et des pressions de tous les côtés pour ne pas trop modifier le « business as usual ». Le Réseau de transport d’Electricité RTE (2) a publié en 2021 un rapport qui accréditait l’idée de la nécessité des énergies renouvelables pour favoriser l’évolution de la consommation d’énergie en France en 30 ans. Le point d’étape du RTE 2023 (3) est beaucoup moins ambitieux. 

Nul ne peut plus ignorer les mesures à prendre pour modifier drastiquement le cours des choses et limiter les effets du changement climatique. Le rapport du GIEC 2022 (4) détaille ces mesures dans tous les secteurs de la vie réelle (la nôtre, sans doute pas celle de Patrick Pouyanné). Il est clair qu’il faut d’urgence engager les secteurs économiques dans la bataille et c’est tout l’intérêt du projet Manhattan pour une transition écologique. 

Un projet ambitieux pour construire une société sobre énergétiquement  

Depuis que je cherche des repères pour comprendre l’évolution du monde, je vois qu’ Homo sapiens est certes capable du pire mais qu’il peut aussi choisir le meilleur. L’Histoire illustre cette assertion, tragiquement ou positivement. 

Côté tragique. Oppenheimer le récent et très apprécié film de Christopher Nolan, raconte comment les hommes, en un temps très court, furent capables de se mobiliser et de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour construire des armes de destructions massives. Il décrit dans quel contexte a été créé le projet Manhattan et met en scène les scientifiques qui s’y sont engagés. De 1939 à 1945, ce projet employa plus de 130 000 personnes et coûta près de 1 % du Produit Intérieur Brut des Etats-Unis. Les travaux de recherche et de production se déroulèrent sur plus de trente sites, aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Canada. Ce projet a embrassé la science la plus avancée de l’époque et a réalisé son industrialisation à grande échelle. Trois 3 bombes nucléaires ont été fabriquées dont deux furent larguées sur le Japon, provoquant un nombre considérable de victimes mais mettant fin à une guerre particulièrement meurtrière. 

Côté positif. Face au défi du siècle, si nous le voulons vraiment nous pouvons renverser la vapeur. Notre espèce est en effet confrontée à un défi majeur. Elle doit mettre un terme à la dérive climatique et à la perte tragique de biodiversité que nous avons provoqué. Malgré les dramatiques conséquences pour les espèces vivantes dont la nôtre, nos sociétés réagissent lentement, chichement, mégotant les crédits, sous le poids des lobbies et des résistances individuelles, et peinant à accorder une réelle attention à ce qu’il est convenu d’appeler « la transition écologique » (5). Et pourtant il y a extrême urgence. Les manifestations du changement climatique sont désormais visibles à l’échelle planétaire (incendies, inondations, canicules, sécheresses, etc.) avec, à la clef, de dramatiques conséquences pour les espèces vivantes dont la nôtre. Les plus pauvres et les plus déshérités d’entre nous sont, comme toujours, les plus exposés. Les migrations climatiques ont déjà commencé. 

Ces retours en arrière confirment les craintes de l’économiste Jean Pisani-Ferry, qui mettait en garde en mai, lors de la remise de son rapport sur « les incidences économiques de l’action pour le climat » : « Ceux pour qui la transition sera la plus contraignante, car elle porte sur des besoins essentiels (se loger, se transporter, se nourrir), ce sont les classes populaires. Le coût économique correspondant ne sera accepté que si (…) les sacrifices sont équitablement répartis [entre tous]. » Ne me dites pas : « Nous n’avons pas les moyens nécessaires pour changer de cap ! » C’est faux. Selon le rapport annuel « Banking on Climate Chaos » rédigé par des ONG, en 2022, les soixante premières banques mondiales ont assuré 673 milliards de dollars de financements aux producteurs de charbon, de pétrole et de gaz. Des données obtenues par Le Monde révèlent que quatre banques françaises ont permis à Saudi Aramco (compagnie pétrolière publique saoudienne) de se financer à hauteur de 16 milliards de dollars depuis 2019. Des financements qui entrent en contradiction avec leurs propres engagements (6). 

Pour que de telles ressources soient réaffectées à une bonne cause il faut une claire volonté politique et l’action résolue des citoyens. Il le faudrait en particulier aussi pour la réalisation d’un projet ambitieux, le projet Manhattan de la transition écologique (7), répondant à l’appel qu’ont lancé le 25 septembre 2023 (8) des scientifiques de renom et de toutes disciplines, conduits par le Prix Nobel de physique Alain Aspect et le biologiste Eric Karsenti, médaille d’or du CNRS. 

Pour faire vivre une société sobre, il nous faut une nouvelle organisation collective 

De quoi s’agit-il ? Pour limiter le réchauffement climatique il nous faut nous diriger vers une société plus sobre en matière de consommation d’énergie. Pour atteindre cet objectif (voir mon Air du Temps du 1er avril 2023 (9), il nous faut vraiment changer de société. « Dans l’agriculture, l’industrie, le transport, pour se passer des énergies fossiles il faut une nouvelle organisation collective, et en particulier une transformation profonde de nos outils techniques et industriels. Décarboner les procédés énergétiques, physiques, chimiques et agricoles qui sous-tendent le monde industrialisé afin d’éviter des millions de morts : telle est notre responsabilité historique. Selon, l’Agence internationale de l’énergie (IEA), 40 % des technologies nécessaires à la transition environnementale ne sont pas à un niveau de maturité suffisant. L’agence donne l’exemple de l’électrolyse de l’eau de mer pour la production d’hydrogène, des batteries au sodium (prévues par Jules Verne (10)), de la captation ou conversion du CO2 ou encore du stockage de la chaleur. 

Figure 2a 3e1447c1-les-batteries-au-sodium-une-alternative-prometteuse-pour-les-voitures-e
Figure 2b Sans titre.jpg

Figure 2 : Batterie sodium –ion (crédit : ShutterstockImage 2/2), produire de l’hydrogène par électrolyse de l’eau de mer (Crédit Nanjing Tech University). 

Malheureusement, bien loin de contribuer à la transition, nombre de ces « technologies stratégiques » sont encore au stade d’expériences de laboratoire menées par quelques scientifiques aux moyens modestes. 

Malgré l’urgence, la transition n’a de facto pas vraiment commencé : les émissions continuent d’augmenter. Nous sommes en train d’échouer et de condamner nos enfants. Pour relever ce défi dans l’urgence, il est impératif de coupler des avancées scientifiques rapides à des transformations industrielles massives. Nous, scientifiques de tous horizons, appelons à la mise en oeuvre d’un projet Manhattan de la transition écologique. La France, et plus largement l’Europe, peut le réaliser. 

Nous appelons à bâtir un centre de recherche et d’innovation, chargé de développer les outils scientifiques et technologiques pour la transition, en lien direct avec l’industrie. A l’instar du CERN, l’organisation européenne pour la recherche nucléaire, il collaborera avec l’ensemble du tissu académique et industriel international, y compris des pays émergents et moins avancés, et agira comme un hub scientifique et technologique ouvert. Ce hub rassemblera les meilleurs scientifiques et ingénieurs avec les moyens d’aller vite. L’ensemble de la recherche sera notamment dirigé vers le développement des procédés décarbonés et leur déploiement rapide à grande échelle en les faisant passer des laboratoires aux industries capables d’implémenter la transition. Pour atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050 prévus par la COP21, nous prévoyons une durée de vie du projet de vingt-cinq ans. 

Figure 3 GIEC 6.jpg

Figure 3. Dans chaque secteur de la société il existe des solutions disponibles aujourd’hui qui permettraient de réduire de moitiés les émissions de CO2 d’ici à 2030. Mais un effort exceptionnel et soutenu d’innovation (transfert de la recherche aux secteurs économiques) est indispensable (Crédit : IPPC 2022). 

Une ambition immense mais les moyens financiers sont déjà là 

« Ce projet à l’interface entre recherche et industrie a l’ambition de faire de la France et de l’Europe des leaders des technologies de la transition écologique. Le financement doit être à la hauteur de l’ambition et de la menace. Alors que le projet Manhattan historique coûta plus de 1 % du PIB américain, celui de la transition requiert un niveau d’investissement comparable et sur la durée de vie du centre…Face à l’urgence climatique, nous appelons à démarrer ce projet sans attendre, en abondant un premier budget d’amorçage de 1 milliard d’euros. Cet investissement en recherche et technologie est à mettre en regard des 70 milliards ou 66 milliards estimés (dont 30 milliards à 35 milliards d’investissements publics) nécessaires à la transition française chaque année, selon les économistes Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz… C’est un coût infime face aux dégâts gigantesques que génèrent déjà les aléas climatiques… De plus, cet investissement, vital pour les générations futures, construit un avantage décisif pour les souverainetés industrielles française et européenne.

 

Avec ce projet Manhattan écologique, c’est la base scientifique d’un modèle industriel à la fois sobre en ressources, résilient et décarboné que nous appelons à construire. Réunissons nos forces vives techniques afin de contribuer à surmonter l’immense défi de la transition. Nous voulons croire que rassembler les nations, notamment européennes, pour la préservation de la planète est encore possible. Les moyens humains et techniques de mener la transition existent, ce projet Manhattan écologique propose d’en construire les fondations scientifiques et technologiques. » 

Le 4 octobre, cinq des promoteurs du projet (Isabel Marey-Semper, Lydéric Bocquet, Patricia Crifo, Yves Lazlo, et Mathieu Lizée) ont été reçus par Sylvie Retailleau et Antoine Pellion, respectivement Ministre de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur et Secrétaire général à la Planification écologique. Ils ont avancé des propositions. Voyons si le projet Manhattan écologique aura des réponses à la hauteur de l’enjeu… 

Références

bottom of page