Air du temps
REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE
1er juin 2022
Z !
There's no such thing as a winnable war
It's a lie we don't believe anymore…
… We share the same biology, regardless of ideology.
Believe me when I say to you,
I hope the Russians love their children too.
STING, Russians
En hommage au peuple d’Ukraine
…et au cinéaste Jacques Perrin
Il est d’usage courant de dire que les jeunes d’aujourd’hui, totalement immergés dans Internet, font partie de la « génération Z ». Tout récemment, « Z » est devenue la marque de Poutine, peinte sur les chars russes qui envahissent l’Ukraine démocratique, un symbole de désastre et de mort. Mais, jusqu’à présent, « Z » évoquait le nom d’un inoubliable film de Costa-Gavras produit par Jacques Perrin contre les dictatures, un symbole d’espoir et de vie. Retournement de l’Histoire ?
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24 septembre 2003. Le Parthenon à Athènes en Grèce, le berceau de la démocratie du monde occidental; Despotiko, une île à quelques encablures d’Antiparos et de Paros, témoin d’une Grèce aux croyances et aux régimes qui ont beaucoup évolué au cours des siècles (crédits : Paul Tréguer).
La Grèce, berceau de la démocratie antique…
24 septembre 2003.
Une réunion scientifique m’amène sur l’île de Paros. Une opportunité unique pour visiter la Grèce, le berceau de la démocratie en Occident.
L’Histoire nous enseigne que la démocratie (de « demos », peuple, et « kratos », pouvoir ») serait née dans la cité grecque d’Athènes au Ve siècle av. J.-C.. Le « pouvoir du peuple » se limitait à l’époque aux seuls « hommes libres » de la cité. En fait, de l’Antiquité aux temps modernes, la Grèce a connu de nombreux régimes politiques, de l’empire d’Alexandre le Grand, à l’Empire romain et byzantin, puis à la domination ottomane, avant de devenir un Royaume, et de sombrer dans la guerre civile à l’issue de la deuxième mondiale. En pleine « Guerre froide », la dictature, dite « des colonels », s’installe en Grèce en 1967 après le coup d’état d’une junte militaire, supportée en sous-main par les Etats-Unis. Dominée par Geórgios Papadópoulos, cette junte s’installe au pouvoir à partir du 21 avril 1967. Elle arrête, torture, exécute, ou exile dans les îles, nombre de syndicalistes, d'anciens résistants et d'hommes politiques, des démocrates.
Du « Z » de Costa-Gavras à celui de Poutine…


1969 : Affiche du film de Costa Gavras ;
Mars 2022 : L’Ukraine envahie par les chars russes ; char russe marqué d’un Z (Illustration : Yann Carmes).
En 1969, pour dénoncer cette dictature, sur un scénario co-écrit avec Jorge Semprun, le grec Constantin Costa-Gavras réalise le film franco-algérien « Z », produit par Jacques Perrin. C’est une adaptation du roman de Vassilis Vassilikos. Il raconte l’histoire vraie de l’assassinat du député grec Grigoris Lambrakis, médecin et pacifiste, représentant de l’Union de la gauche démocratique. Par son rythme haletant, par la qualité des prestations de stars comme Yves Montand, Jean-Louis Trintignant, Irène Papas et d’innombrables autres acteurs, ce film a marqué toute une génération. Je revois encore la motocyclette-triporteur surgir sur la place se rapprochant rapidement d’Yves Montand, puis l’homme qui se dresse sur le siège arrière porter un violent coup de matraque au crane du député. Pendant que celui-ci, la tête entre les mains, s’effondre, les deux assassins s’éclipsent rapidement pour se mettre à l’abri des forces de police... En grec Zêta est l’initiale de Zi qui signifie "il vit", ou "il est vivant". Dès la mort de Lambrakis, héros de la démocratie, les murs des cités grecques se couvrent de « Z », à la fois pour protester contre cet assassinat mais aussi pour clamer que l’espoir n’est pas vain, et que la démocratie reviendra. « Z », symbole d’une vie plus forte que la mort, d’une liberté plus solide que la violence, de l’espoir qui reste au cœur de tout homme malgré la menace de l’hydre fasciste. Cinq ans après la sortie du film, la démocratie revient de nouveau en Grèce. Plus que jamais « Z » est vivant.
Un signe ou plutôt une lettre blanche nous interpelle depuis le début de la guerre en Ukraine. Il s'agit d'un mystérieux "Z" inscrit sur les nombreux chars et véhicules de l'armée russe qui fondent sur la démocratique Ukraine, semant dans leurs sillages massacres et désillusions. Dans les médias plusieurs hypothèses ont fleuri quant à la signification de ce « Z ». Parmi celles-ci, l’idée que cette lettre cyrillique serait un simple signe de reconnaissance. Elle aurait pour seul but de permettre l’identification des blindés russes afin qu’il se différencient facilement des chars ukrainiens. Mais visiblement le symbole va au-delà. Sur les réseaux sociaux, de TikTok à Facebook, il est devenu fréquent de voir des vidéos où de jeunes russes s’assemblent pour former un grand « Z » en agitant des drapeaux russes…Et si, dans l’esprit de Poutine, « Z » était le signe de la renaissance de la Sainte Russie ou de l’URSS, chères à son cœur ? Détournement d’un symbole d’espoir en faveur d’un régime qui n’a décidément rien à voir avec la démocratie.
Menaces sur nos démocraties…
A la fin du 20ème siècle, et particulièrement après l’effondrement du mur de Berlin, nous avions souvent eu l’impression que les régimes démocratiques étaient en expansion et allaient se répandre sur l’ensemble de la planète. En fait, depuis le début du 21ème siècle, nous prenons le chemin inverse…
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Créé en 1995 à Stockholm (Suède), l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (IDEA) est une organisation intergouvernementale comprenant des États membres de tous les continents. Il a pour mission de promouvoir la démocratie durable dans le monde. Dans la carte qu’il publie en 2018 (ci-dessus) on voit que, si les démocraties sont communément répandues sur tous les continents, elles sont peu présentes en Asie, au Moyen Orient et en Afrique. L'Economist Intelligence Unit (EIU), attachée au journal anglo-saxon The Economist, calcule chaque année un indice de démocratie. Il évalue les pays (ou territoires) en fonction de soixante indicateurs couvrant plusieurs domaines, tels que les processus électoraux, le fonctionnement du gouvernement, les libertés civiles, ou encore la participation et la culture politique. Selon sa plus récente évaluation, les régimes démocratiques sont adoptés par moins de 48% des habitants de la planète Terre. Ce sont donc les régimes non démocratiques qui dominent. 37% de la population mondiale préfère des régimes autoritaires, 15% (dont les Russes) choisissant des régimes hybrides.
Quand on sait que plusieurs des régimes dits « démocratiques » sont parfois secoués par les forces du « côté obscur » d’Homo Sapiens, pour prendre un langage à la Star Wars, il y a décidément du pain sur la planche pour les adeptes de Solon (1), l’Athénien, ou pour ceux d’Alexis de Tocqueville (2). Mais là aussi, les forces de l’espoir sont à l’œuvre…
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Jacques Dufresne, La démocratie athénienne, miroir de la nôtre, La bibliothèque de l'Agora, 1994 (ISBN 2980078921).
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Alexis de Tocqueville. De la démocratie en Amérique, Gosselin, 1835, 1840.