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Air du temps

REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE

1er  février 2025

Le paradoxe de l’Europe

"Face à notre manque de ressources naturelles,

il n’y a qu’une seule réponse : la décarbonation".

Mario DRAGHI

Résumé :  

Dans l’Union européenne la majorité de l’électricité est désormais produite à partir des énergies renouvelables. Mais, paradoxalement, c’est en général le prix du gaz qui fait la loi sur le marché de l’énergie. Son coût, exorbitant, plombe la réindustralisation, avec de tragiques conséquences sociales qui fait le jeu des populistes. Comment s’en sortir ? en accélérant la décarbonation, en investissant dans les interconnexions du réseau électrique à l’échelle européenne, tout en bâtissant une offre politique cohérente.

À l’orée du quart du 21ème siècle, la recomposition du monde s’opère à une vitesse accélérée. Retour du repris de justice Donald Trump  à la présidence des Etats-Unis en train de devenir une ploutocratie avec, à la clef, l’accession au pouvoir d’Elon Musk (et de ses semblables), un oligarque champion de la « broligarchie »[1]. La Chine, dont la croissance économique se ralentit, prolonge l’expansion de la route de la soie jusqu’en Amérique latine[2]. L’Europe, quant à elle, est dans une situation paradoxale.

 

Figure 1.jpg

Figure 1 : croissance des énergies renouvelables dans la production d’électricité de l’Union européenne de 2015 à 2024 ; en 2024, en Europe, l’électricité était en majorité produite à partir les énergies renouvelables (éolien, solaire, hydraulique, biomasse). [3] 

Bien qu’elle se soit effectivement engagée dans la transition énergétique (Figure 1), avec cependant des efforts variables selon les pays (Figure 2), elle est confrontée à une désindustrialisation massive et au progrès des forces populistes, climato-négationnistes, anti-européennes, et prorusses. En juillet 2020, Charles Michels, président du Conseil de l’Europe, déclarait qu’une « révolution copernicienne » était née quand, ébranlée par la pandémie de Covid-19, l’Union européenne (UE) décidait d’un plan de relance de 750 milliards d’euros, financé pour la première fois de son histoire par un emprunt commun[4]. Mais, quatre ans plus tard, elle n’arrive toujours pas à dépenser ce pactole pour financer sa ré-industrialisation et la transition en marche vers des énergies décarbonées. Une « révolution » qui n’a donc que peu d’effets.

Figure 2 Screenshot 2024-12-21 at 11-49-00 Les énergies renouvelables dans la consommation

Figure 2 : Si, en 2024, l’électricité était en majorité produite à partir les énergies renouvelables en Europe, la part des renouvelables dans la production d’électricité est cependant très contrastée selon les pays de l’Union Européenne en 2024[5].

Paradoxe énergétique et impacts de la guerre en Ukraine

L’Union européenne est dans un vrai paradoxe. En 2024, 54 % de la production d’électricité de l’UE provenait des renouvelables (solaire, éolien, hydroélectricité, biomasse…) (Figure 1), soit un doublement par rapport à 2010. Szymon Kardas (European Council on Foreign Relations, ECFR) estime qu’en tenant compte des 22 % venant du nucléaire, « L’Europe est sur la bonne voie, avec un processus de décarbonation irréversible »[6].

Figure 3a Prix énergie électrique 2022 UE.jpg
Figure 3b Prix énergie électrique 2022 UEb.jpg

Figure 3. En 2022, dans l’Union européenne le prix de l’électricité produite par les renouvelables est moins chère que celle produite par le nucléaire et les énergies fossiles (crédit 5).

Malgré la place désormais prééminente des énergies renouvelables, qui produisent une énergie moins chère que le nucléaire et les énergies fossiles (Figure 3), le prix de l’énergie électrique a généralement augmenté dans l’UE. Comme le souligne Marco Draghi : si « le gaz ne produit que 20 % de l’électricité européenne, (elle) dicte les prix 63 % du temps. Alors que nous avons du nucléaire et des renouvelables, nous payons notre électricité au prix du gaz » (référence 5). En effet, en raison du principe l'ordre de préséance économique[7], il est généralement déterminé par le prix du gaz. L'électricité est négociée comme un produit de base, ce qui s'effectue souvent sur les bourses de l'énergie. Chaque centrale propose son électricité à un prix individuel et de manière à couvrir ses coûts. Jusqu’à présent, c’est la mise en fonctionnement des  centrales à gaz, très flexibles, qui permet d’ajuster l’offre à la demande dans de nombreux pays européens. C’est donc le prix du gaz, devenu exhorbitant, qui sert de référence.

À noter qu’il faut cependant relativiser ces considérations au niveau européen et mondial car, dans la consommation finale brute d’énergie, la part directe de l’électricité reste modeste. Entre 1990 et 2021, dans l’UE à 17, la consommation finale mondiale augmente de 52 %, passant de 73 à 117 milliers de TWh. Les énergies fossiles représentent en 2021 environ deux tiers de la consommation finale sur tous les continents, à l’exception de l’Afrique où la biomasse est majoritaire (52 %). Le pétrole reste partout la première énergie fossile. Tandis que l’Asie utilise beaucoup le charbon (16 %), l’Amérique et l’Europe ont davantage recours au gaz naturel (respectivement 21 % et 26 %). La part de l’électricité dans la consommation finale en 2021 est similaire sur tous les continents (autour de 20 %), à l’exception de l’Afrique (10 %)[8].

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Figure 4. Consommation finale d’énergie dans le monde : évolution de 1971 à 2021 (crédit : référence 6)

L’utilisation directe du charbon, des produits pétroliers, et du gaz reste largement prédominante dans la consommation finale d’énergie dans le monde (Figure 4), ce qui semblerait donner du poids à la théorie de Fressoz selon laquelle la transition énergétique n’aura pas lieu (Air du temps du 1er juin 2024).

Le lobby pétrolier, loin des engagements formels de la COP28 à Dubaï n’a plus besoin de faire du greenwashing (Air du temps du 1er juin 2024). Il affiche désormais sa volonté de promouvoir l’extraction des énergies fossiles[1]. Au sens propre, il y a le feu pour la planète, et les scénarios les plus noirs du GIEC sont plus que jamais en perspective[10].

Impact de la guerre en Ukraine

Après le déclenchement de la guerre en Ukraine une bonne part de l’Union Européenne, si l’on excepte les nations à dominante pro Poutine, a considérablement réduit les importations de gaz russe et importe à prix élevé du gaz venu d’ailleurs, en particulier des Etats-Unis. « On a complètement manqué l’occasion de réformer le marché de l’électricité », s’agace Natalia Fabra, de l’université Charles-III de Madrid.

L’inconvénient majeur de l’électricité produite par les énergies renouvelables, en général intermittentes, par rapport à celle produite par les énergies fossiles (véritable concentrés d’énergies), c’est qu’elle n’est, en tout cas actuellement, pas facilement stockable pour les usages industriels. Sa production doit, en temps quasi réel, s’adapter à la demande. Faute de disposer à court terme de facilités de stockage suffisantes[11], l’adaptation de l’offre d’électricité à la demande est réalisée grâce aux réseaux d’interconnexions entre les différents pays[12].  où l’électricité est véhiculée (transports par câbles électriques sous-marins ou souterrains, ou par lignes électriques aériennes, à haute tension pour éviter la perte par effet joule). Comme les réseaux interconnectés sont insuffisants, pour répondre à la demande il faut mettre en service des centrales réactives à combustibles fossiles. En Chine, cet ajustement se fait grâce aux centrales à charbon ; en Europe, grâce aux centrales à gaz qui montent rapidement en puissance. Et comme c’est la dernière centrale à entrer en fonction qui dicte les prix, celui de l’électricité européenne fluctue avec les marchés du gaz (référence 7). Quels que soient nos progrès en énergies bas carbone (Figure 1), en grande majorité les consommateurs n’en voient donc pas les bénéfices.

Pire. Le coût de l’énergie chère conduit à la fermeture des usines en Europe. La loi du profit à court terme les incite à se réimplanter aux Etats-Unis, en Afrique, ou en Asie. Avec une crise sociale et politique en perspective, faisant le lit de l’idéologie populiste, en développement pratiquement partout en Europe.

Comment s’en sortir ?

1. Une réponse économique et technique pour baisser le coût de l’énergie :

Pour revenir à des couts d’énergie plus réalistes et qui ne lèsent pas l’industrie, comme le souligne Mario Draghi (référence 5), le prix de l’énergie en Europe doit être découplé du prix du gaz.

Pour cela il faut :

(1) Accélérer la transition énergétique et écologique : « Face à notre manque de ressources naturelles, il n’y a qu’une seule réponse : la décarbonation. »

(cf. Mario Draghi, référence 5),

(2) Améliorer d’urgence les interconnections entre les réseaux de transport d’énergie (Figure 5), en attendant de développer le stockage de l’énergie électrique par batteries ou super condensateurs.

En 2020, la Commission estimait que huit pays étaient insuffisamment interconnectés à leurs voisins : l’Irlande, l’Espagne, la France, l’Italie, Chypre, la Pologne, le Portugal et la Roumanie. En France, l’objectif de RTE, gestionnaire de réseaux de transport, est de doubler les capacités d’échanges aux portes de l’Hexagone à l’horizon 2035, pour atteindre une trentaine de gigawatts. Exemple de projet, porté par RTE et son homologue irlandais EirGrid, le Celtic Interconnector (Figure 5).

Il vise à créer la première interconnexion électrique entre la France et l’Irlande. Avec environ 575 kilomètres de câbles, il facilitera notamment le développement des énergies renouvelables en Irlande, qui vise 70 % de ces énergies propres dans son mix de production d’ici à 2030. Ce projet, dont le coût est de  530 millions d’euros, devrait être pleinement opérationnel en 2026[13].

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igure 5. Cas de la France : exemples d’interconnections de transport d’énergie électrique (crédit : RTE).

(3) investir rapidement et massivement à l’échelle européenne dans de grandes capacités de stockage par batteries, du type de celles construites en Australie[14], en attendant les super condensateurs.

2-Elaborer une vraie réponse politique alternative : comme le soulignait Thomas Picketty en 2017[15], le populisme est une réponse au sentiment d’abandon des classes populaires que le mode de développement actuel laisse de côté, notamment dans les zones rurales et périphériques.

Un des intérêts des énergies renouvelables c’est qu’elles sont produites de façon décentralisée et en général en dehors des grandes métropoles. C’est incontestablement un avantage pour favoriser le développement à l’échelle locale, régionale ou inter-régionale. Cette dernière dimension semble avoir totalement disparu des projets politiques actuels ou, en en tout cas, n’est pas dans leurs priorités. 

A cet égard, il n’est pas inintéressant de relire les perspectives élaborées dans les années quatre-vingt par les plans régionaux ALTER d’économie et d’énergie, créateur d’emplois pour « vivre au pays »[16].  

[1] https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/01/03/yanis-varoufakis-ancien-ministre-des-finances-grec-les-geants-de-la-big-tech-sont-prets-a-profiter-du-second-mandat-trump_6479573_3234.html

[2] https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/11/15/la-chine-accroit-sa-presence-en-amerique-latine-et-ejecte-progressivement-de-son-traditionnel-jardin-l-ancien-roi-des-ameriques-les-etats-unis_6394980_3234.html

[3] https://fr.statista.com/infographie/30346/evolution-production-electricite-union-europeenne-par-source-energie/

 

[4] https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/12/19/les-lenteurs-europeennes-un-obstacle-au-plan-de-relance-de-750-milliards-d-euros_6456629_3234.html

 

[5] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energies-renouvelables-2024/25-les-energies-renouvelables-dans-la#images-2

[6] https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/12/17/l-europe-etranglee-par-l-energie-chere_6452940_3234.html

 

[7] https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/how-is-eu-electricity-produced-and-sold/#0

 

[8] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie-2024/11-international

[9] https://journal.lemonde.fr/data/4252/reader/reader.html?t=1734962101523#!preferred/0/package/4252/pub/6075/page/26/alb/237823

 

[10] Paul Tréguer, L’océan est-il le maître du climat ? Apogée (2024)

[11] https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/enjeux-et-prospective/decryptages/climat-environnement-et-economie-circulaire/stockage-denergie-accompagner-deploiement-des-energies-renouvelables

[12] L'interconnexion la plus longue en 2016 est la liaison sous-marine NorNed entre la Norvège et les Pays-Bas, qui s'étend sur près de 600 km et fournit 700 MW de courant continu à haute tension.

[13] https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/electricite-comment-les-pays-europeens-sont-ils-connectes-entre-eux/

 

[14] https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/energie-renouvelable-tesla-construit-plus-grande-batterie-monde-australie-67892/

 

[15] https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/01/14/thomas-piketty-vive-le-populisme_5062613_3232.html

[16] Huguette Bouchardeau et Paul Tréguer. Pour que vivent les régions ! Syros (1980).

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