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Air du temps

REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE

1eravril 2024

Seuls dans l’univers[1]?

« La Voie Lactée n’est rien de plus qu’un îlot d’étoiles

perdu dans une immensité bien plus grande encore".

Christophe Galfard. L’Univers à portée de main.

Résumé :  

Sommes-nous seuls dans l’Univers ? Une des questions existentielles que se pose chacune, chacun d’entre nous. Les progrès réalisés par la science depuis plusieurs décennies permettent d’envisager une continuité entre matière inerte et matière vivante. Des formes de vie non basées sur le carbone sont-elles possibles?  C’est une autre question qui est également discutée ici.

14 décembre 2016. Je presse le pas dans les rues de San Francisco enluminées par les décors de Noël. Pour rien au monde, je ne voudrais rater la conférence de Natalie Cabrol2, du Carl Sagan Research Center. Accueillie par l’American Geophysical Union, dont je suis fellow, cette conférence porte sur l’exobiologie, en hommage à Carl Sagan (1934-1996)3. Cet astronome américain s’est rendu célèbre dans les années 80 par la série télévisée Cosmos.  Elle nous a fait rêver de la naissance de l’Univers et de son évolution.

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Figure 1 :

La nébuleuse de la Tarentule ou NGC 2070 est une région d’hydrogène ionisée dans le Grand Nuage de Magellan. Elle se situe à 160 000 années-lumière de la Terre. L’une des images capturées par le James Web Space Telescope (crédit : NASA/ESA/CSA/STSCI).

Nathalie Cabrol, directrice du SETI (Search for ExtraTerrestrial Intelligence, Recherche d’intelligence extraterrestre), explique pourquoi la vie existe, selon elle, partout dans l’Univers. Elle reconnaît que nous n’en avons actuellement pas la preuve, mais affirme, avec Carl Sagan, que « l’absence de preuves n’est pas la preuve de l’absence ».  Dans sa conférence, elle évoque également l’hypothèse d’autres formes de vie non basée sur le carbone, par exemple sur le silicium, alimentant ma passion pour ce thème de la vie extraterrestre que je développe quelques années plus tard « Jules Verne Planète Océan »4.

Comment est née la vie dans l’univers?

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Figure 2 : Dans l’univers en expansion depuis « le big bang », il y a 13,7 milliards d’années, les conditions physiques déterminent d’abord la formation des particules élémentaires. Quand la température s’est suffisamment abaissée, les conditions deviennent favorables à la formation des atomes, et de molécules de plus en plus complexes constituant la matière inerte, avant que les conditions deviennent favorables à la naissance et au maintien de la vie sur Terre il y a 3,5 milliards d’années (Crédit : Jean-Marie Lehn (5)).

Dans les conditions initiales violentes (Figure 2), sont nées les particules élémentaires, puis, par nucléosynthèse, les éléments de la classification périodique. Quand la température s’est suffisamment abaissée, les molécules, dont celles basées sur le carbone, ont commencé à se former. La structure électronique de cet élément est en effet particulièrement favorable à la création de composés complexes. Il y a désormais plusieurs preuves de l’existence de tels composés dans l’Univers. Par exemple, la météorite carbonée de Murchison tombée le 28 septembre 1969 en Australie, renferme plus de soixante-dix acides aminés différents, dont huit acides aminés des protéines. En 2021, la mission spatiale japonaise Hayabusa 2 a rapporté sur la Terre un échantillon de cinq grammes de l’astéroïde 162173 Ryugu, vestige de la formation du Système solaire il y a 4,5 milliards d’années. En 2022, on y a décelé, avec d’autres composants élémentaires de la vie sur Terre, plusieurs acides aminés, constitutifs des protéines. 

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Figure 3. En 2021, la mission spatiale japonaise Hayabusa 2 a rapporté sur la Terre un échantillon de cinq grammes de l’astéroïde 162173 Ryugu, vestige de la formation du Système solaire il y a 4,5 milliards d’années (Crédit : JACSA). 

Mais l’existence d’acides aminés ne signifie pas nécessairement celle de la matière vivante.

Comment est née la vie sur Terre ? Selon Jean Audouze et Marie-Christine Maurel 6, à l’échelle moléculaire, l’émergence de la vie sur Terre résulte de processus qui implique l’élaboration d’un automate chimique à partir de pièces détachées éparses. Par le jeu du hasard, un certain nombre de molécules s’auto-organisent. Jean-Marie Lehn 7, prix Nobel de Chimie 1987, ne croît pas au hasard. Il donne de nombreux exemples de la capacité d’auto-organisation de molécules carbonées (Figure 4). Ces molécules sont capables de former un automate qui peut saisir d’autres molécules, générant un deuxième automate à leur image avec transmissions du plan de montage.

 

C'est l'autoreproduction. Elle est précisément à la base de la création de matière vivante. Mais pour que cette matière autoproduite reste stable, il faut des conditions particulières. Les rayons cosmiques peuvent nous traverser, interférer avec l'ADN. Mais, la Terre est protégée par un champ magnétique. Il renvoie les particules chargées d’un pôle à l’autre, créant deux ceintures gigantesques en forme d’anneaux, peuplées d’électrons et de protons énergétiques. La magnétosphère détourne les rayons cosmiques et nous protège des éruptions solaires. Parfois, le rayonnement cosmique nous atteint, sans toutefois nous nuire, tout comme d’autres rayonnements faibles auxquels nous sommes régulièrement exposés. À noter que dans l’Univers, l’eau liquide protège les composés organiques de l’impact destructeur des rayons gamma et des rayons X pénétrants.

Aucun doute, ceci fait de la planète Terre un milieu particulièrement favorable au développement de ces composés complexes et au passage de la matière inerte à la matière vivante, d’autant que la couche d'ozone agit comme un filtre invisible qui protège toutes les formes de vie contre une surexposition aux rayons ultra-violets (UV) nocifs du Soleil. 

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Figure 4. Autoorganisation de molécules carbonées pour former des doubles hélices analogues à celles de l’ADN (Crédit : Jean-Marie Lehn (5)).

Alexandre Graham Cairns-Smith 8 insiste sur le lien étroit entre les minéraux et le métabolisme primitif. Les cristaux d’argile possèdent la propriété de se répliquer, formant des structures lamellaires à base de silicates ou d’aluminosilicates hydratés (Figure 5) provenant en général de l'altération de roches silicatées à structure tridimensionnelle (exemple: les feldspaths). Elles auraient pu jouer un rôle dans la polymérisation et la fabrication de systèmes réplicatifs primitifs, fournissant un environnement favorable à la constitution et à la reproduction de longs polymères organiques, ancêtres de l’ADN. Certains polymères se seraient ensuite reproduits de manière indépendante.  

Les processus décrits par Lehn ou Craig-Smith pour générer de la vie sur Terre ne lui sont pas spécifiques. Ceci conforte l’idée de Nathalie Cabrol, selon laquelle la vie peut exister partout dans l’Univers.

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Figure 5. Les cristaux d’argile, qui possèdent la capacité de se répliquer, auraient pu jouer un rôle dans la polymérisation et la fabrication de systèmes réplicatifs primitifs (Crédit 9 , d’après Cairns-Smith, 1988 (8)).

À la recherche d’autres océans dans l’univers

Les milieux aquatiques offrent incontestablement des conditions favorables au développement de la vie telle que nous la connaissons sur la planète Terre. D’où la recherche de « planètes-océans » à travers l’Univers.  Plus de 1400 exoplanètes-océans ont été, à ce jour, répertoriées. 

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Figure 6- Europe, lune de Jupiter, comporte un océan englacé en surface et liquide en profondeur. Elle est susceptible d’accueillir des formes de vie basée sur le carbone (Crédit : NASA/JPl.-Caltech).

Dans le Système solaire, la présence d’océans glacés et liquides a été mise en évidence dans plusieurs lunes de Jupiter, comme Ganymède et Europe (Figure 6). Peuvent-elles accueillir des formes de vie ? La sonde européenne Juice qui a décollé de Guyane le 14 avril 2023, à destination de 3 lunes de Jupiter dont Europe, et la sonde Europa-Clipper qui sera lancée par la NASA en octobre 2024, devraient nous aider à répondre à cette question à partir de 2029.

Titan, une lune de Saturne, explorée par sonde Cassini–Huygens en 2005, se présente comme un espace surgelé. Son atmosphère épaisse est principalement composée de diazote et d’un peu de méthane. Elle accueille des océans de méthane liquide. La présence de méthane dans l’atmosphère est-elle l’indice d’une vie méthanogène, comme dans les sources hydrothermales de nos océans terrestres? Nathalie Cabrol 10 développe une autre hypothèse, évoquant la possibilité de formes de vie étrange à la surface de Titan. Dans un tel environnement gelé, il n’est pas envisageable de créer des structures cellulaires constituées de lipides. Par contre, elle imagine la formation de protocellules constituées d’acrylonitrile (CH2CHCN) dont les propriétés permettent à une molécule d’en attirer une autre pour former une membrane. De l’acrylonitrile a effectivement été détecté dans l’atmosphère de Titan. Comment des molécules d’acrylonitrile se comporteraient-elles dans un environnement à -183°C au contact de molécule de méthane (CH4)? Sans doute en structures cristallines rigides comparables au sel ou à la glace. Selon Nathalie Cabrol, les molécules du vivant sur Titan vivantes utiliseraient donc l’environnement glacial pour s’assembler et par exemple pour adhérer aux roches. Le vent et les marées renouvelleraient leur environnement et leur apporteraient des nutriments.

Un tout autre mode de vie donc par rapport à celui que nous connaissons…

Une vie basée sur le silicium ?

Carl Sagan et Nathalie Cabrol évoquaient la possibilité d’autres formes de vie à base d’éléments différents du carbone. Le silicium est l'un des candidats possibles, car il possède une configuration électronique externe identique à celle du carbone. Peut-on envisager comme le fait la série télévisée Star Trek 11 l’existence d’êtres vivants basés sur le silicium ?

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Figure 7. Titan, une lune englacée de Saturne. Des océans d’hydrocarbures ont été mis en évidence à sa surface par la sonde Cassini-Huygens en 2005 (Crédit : NASA).

Pour répondre à cette question, notre groupe de recherche à Brest a tissé des liens avec Janusz Petkowski du Massachussetts Institute of Technology (MIT). Dans un article publié en 2020, ce dernier montre que pour que la vie se développe à partir d’une base chimique, celle-ci doit répondre à 3 conditions. Premièrement, elle doit permettre une diversité chimique suffisante et des structures biologiques complexes. Deuxièmement, les composés formés doivent être stables par rapport à leur environnement, mais aussi être suffisamment réactifs pour permettre une évolution en fonction de variations drastiques de l’environnement. Enfin, les composés formés doivent être compatibles avec la présence d’un solvant qui peut entrer dans la composition des organismes. Il est clair que le carbone dans un environnement aquatique coche toutes les cases. Les possibilités offertes par le silicium sont beaucoup plus limitées.

Janusz Petkowski examine la diversité et la réactivité comparée de molécules organiques complexes formées à partir de carbone ou de silicium dans des conditions simulant différents environnements planétaires. Sur la planète Terre riche en oxygène, plutôt que de servir de base au monde du vivant, le silicium se lie facilement à l’oxygène et à des éléments métalliques pour former les minéraux silicatés. L’astrochimiste et biologiste conclut que, si une vie à base de silicium existe dans l’Univers, il faut la chercher dans des environnements très exotiques comme les nuages d’acide sulfurique de Vénus ou dans les mers d’hydrocarbures de Titan, une lune de Saturne.  Voici une possibilité de vie basée sur le silicium sur Titan qui s’ajoute à celle envisagée par Nathalie Cabrol. Un Jules Verne au 21ème siècle aurait évidemment relevé une telle possibilité dans un nouveau Voyage extraordinaire. En tout cas c’est une hypothèse que je retiens volontiers dans l’ouvrage « Jules Verne planète Océan »(4)

Dans l’Univers, la vie existe-t-elle ailleurs que sur la Terre ? Je n’en doute pas. Sous quelles formes ? C’est ce que nous devrions apprendre au cours des prochaines décennies.

Pour celles et ceux qui veulent en savoir plus sur la vie à base de silicium : https://ubocloud.univ-brest.fr/s/P8CG3qHJXy9xjAG

1. Extraits de la conférence de Paul Tréguer, « Jules Verne au 21ème siècle », donnée à Saint-Renan le 29 mars 2024. à l'invitation de Pégase, Asronomie et Espace, Amicale laïque de Saint-Renan.

2. Nathalie A. Cabrol. Voyage aux frontières de la vie, Éd. du Seuil, (2021) ; A l’aube de nouveaux horizons Ed. du Seuil (2023

3. Carl Sagan. Cosmos, éditions Mazarine (1981)

4. Paul Tréguer. Jules Verne Planète Océan. Editions L’Harmattan (2023).

5. https://fr.wikipedia.org/wiki/Tableau_p%C3%A9riodique_des_%C3%A9l%C3%A9ments

6. Jacques Audouze, Marie Christine Maurel. Du cosmos à la vie; L’Archipel (2023).

7. J.M. Lehn. Par-delà` la synthèse : l’auto-organisation. CR Chimie (2011).

8. Alexandre Graham Cairns-Smith : Clay minerals and the origin of life (1988), Seven clues of the origin of life (1982).

9. https://fr.wikipedia.org/wiki/Argile#/media/Fichier:StructTOTatomes.png

10.Nathalie Cabrol. A l’aube de nouveaux horizons, Seuil (2023).

11. Les Mines de Horta (The Devil in the Dark), vingt-cinquième épisode de la première saison de la série télévisée Star Trek.

12. Januz Petkowski et al. On the potential of Silicon as a building block for life, Life (2020)

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