Air du temps
REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE
1er novembre 2025
Le futur de l’océan
Résumé : En préliminaire à la COP 30 (10-21 novembre 2025) viennent de paraître quatre synthèses sur l’état de la planète Terre et de l’océan. Elles illustrent la triple crise que subit l’océan du fait des impacts du changement climatique, d’une perte de biodiversité et des déversements de plastique depuis les bassins versants. Elles offrent aux décideurs des outils pour changer de cap afin que l’océan puisse continuer à rendre des services à l’humanité.
L’Organisation météorologique mondiale (OMM) vient de publier les concentrations les plus récentes des gaz à effet de serre. Le gaz carbonique a progressé de 152 % par rapport aux niveaux préindustriels (antérieurs à 1750). Dans le même temps le méthane a augmenté de 266 %, et la teneur en protoxyde d’azote, troisième plus important gaz à effet de serre persistant a crû de 125 %[1].
Depuis plusieurs mois, médias et réseaux sociaux sont pourtant envahis de messages de climato négationnistes qui, à la suite des déclarations de Donald Trump, président des Etats-Unis d’Amérique, considèrent que « le changement climatique est la plus grande arnaque jamais menée contre le monde »[2]. Ce triste personnage n’envisage évidemment pas que les eaux de l’océan Atlantique submergent un jour sa propriété de Mar-al-Lago, dont l’altitude moyenne est pourtant comparable à celle de l’île de Sein.... Bon courage !
Faisant suite à UNOC 2025 et en préliminaire à la COP 30 qui se réunit à Belém (Brésil) du 10 au 21 novembre 2025, quatre synthèses sur l’état de la planète Terre et le futur de son océan viennent de paraître.
La première conduite par Timothy Lenton de l’université d’Exeter, en partenariat avec le Potsdam Institute for Climate Impact Research (PIK)[3], basé à Postdam (Allemagne), et avec le support du Bezos Earth Fund[4] et des ONG, est intitulé « Rapport 2025 sur les points de bascules mondiaux »[5]. Il est largement basé sur l’idée qu’au cours de son évolution, le système Terre évolue peut passer par des points de bascule qui ne lui permettraient pas de revenir en arrière. Ce rapport présente notamment une vue catastrophiste des conséquences d’un ralentissement de la circulation thermohaline de l’Atlantique nord (Gulf Stream, AMOC[6]) dont nous n’avons actuellement pas la preuve[7]. On notera également, l’absence, au sein du GIEC, de consensus scientifique sur l’existence de points de bascule planétaires pour le climat.
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Je ne m’étendrais donc pas sur ce rapport, par ailleurs très bien illustré et qui a les faveurs de Reporterre[8] et du Monde[9].
La seconde synthèse, introduite par Sylvia A. Earle, est due aux chercheurs des Postdam (PIK). Pour définir l’état de santé de la planète Terre, elle se base sur 9 critères (Figure 1) qui peuvent se situer dans le vert (état bon à excellent), puis basculer dans l’orange (en détérioration), voire dans le rouge (danger).
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Figure 1. Les neuf critères utilisés par l’Institut de Postdam (Allemagne) pour juger de la santé de la planète Terre, avec des points de bascule pour passer du vert, à l’orange, puis au rouge. De haut en bas, en circulant dans le sens des aiguilles d’une montre, les critères considérés sont : le changement climatique, les pollutions diverses (plastique, etc..), la couche d’ozone stratosphérique, les aérosols atmosphériques, l’acidification des océans, la perturbation des flux biogéochimiques (azote, phosphore), les systèmes aquatiques, les écosystèmes terrestres, l’intégrité de la biosphère (crédit : PIK, référence 2)
Quatre des critères utilisés par les scientifiques allemands ont évolué vers le rouge : le climat, les pollutions diverses, la tendance à l’eutrophisation des océans, la biodiversité à l’échelle globale, trois sont dans l’orange (les écosystèmes terrestres, les écosystèmes aquatiques, et l’acidification des océans qui viendrait récemment, selon le PIK, de basculer du mauvais côté. Deux critères seulement restent dans le vert : la couche d’ozone stratosphérique (elle régresse à la suite des efforts internationaux liés au protocole de Montréal, 1985), et la quantité d’aérosols de l’atmosphère qui, à l’échelle planétaire, a tendance à décroitre (Figure 1). L’étude du PIK, intéressante, est toutefois incomplète pour les océans (non prise en compte par exemple de l’impact du changement climatique sur la circulation des océans, voir ci-dessus).
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La troisième synthèse est due au programme européen Copernicus, basé à Toulouse. Le rapport 2025 sur l’état de l’océan est coordonné par Karina von Schuckmann[10], à la tête de 70 scientifiques.
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Figure 2. Programme européen Copernicus : cette synthèse 2025 de l’état de l’océan illustre la triple crise planétaire que subissent les océans soumis aux impacts du changement climatique (montée du niveau de la mer, acidification, augmentation de la température de la surface et du transfert de chaleur à l’océan), à une perte de la biodiversité marine (populations de thons surexploités, blanchiment des coraux des eaux tropicales), et aux déversements de plastique depuis les bassins versants (Crédit : référence 3).
Un des points saillants du rapport Copernicus concerne le transfert thermique à l’océan de l’excès d’effet de serre. Au printemps 2024, la température moyenne des eaux de surface a battu son record, 21 °C. Ce réchauffement affecte notamment les côtes européennes. Depuis 1982, les eaux de l’Atlantique du nord-est subissent une augmentation décennale deux fois supérieure à la moyenne globale (Figure 3), soit 0,27 °C par décennie. En Méditerranée, l’augmentation est de 0,41 °C par décennie, atteignant 0,6 °C dans les mers Egée, Adriatique et le bassin Levantin (Figure 3). Les auteurs de l’étude ajoutent : « Bien que la moyenne mondiale des températures de surface évolue lentement, de faibles variations en apparence peuvent pourtant bouleverser profondément les grands équilibres du système terrestre ».
Ce rapport a examiné le phénomène des canicules marines, des moments de surchauffe où la moyenne des températures de surface dépasse pendant plus de cinq jours un seuil très élevé. En 2023, 63 % d’une immense zone située autour du tropique du Cancer, dans l’Atlantique Nord, ont subi un tel phénomène de façon simultanée et sur de longues périodes. Certains endroits ont ainsi enduré plus de trois cents jours de canicule dans l’année[11].
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Figure 3. Rapport Copernicus 2025 : l’augmentation de température en une décennie n’est pas homogène. Dans le cas de l’océan Atlantique du Nord-Est (bleu foncé) elle est de presque 0,3°C, supérieure au réchauffement de l’océan mondial (trait violet). A noter les augmentations spectaculaires de la température dans les mers semi-fermées (océan Arctique, mer Méditerranée, mer Baltique et mer Noire) (crédit : référence 3).
Au total, le rapport Copernicus 2025 « permet d’avoir une vision globale des choses, de constater les conséquences de nos activités sur la physique et la chimie de l’océan, sur la biodiversité mais aussi sur les emplois, le tourisme » conclut Karina von Schuckmann. Elle ajoute : « finalement, cette vision est inquiétante, mais elle permet aussi de mesurer les efforts à faire » pour changer de cap (référence 3).
Egalement intéressante, bien que non signalée par les médias et les réseaux, est une quatrième étude relative au futur des écosystèmes marins soumis à de nombreuses pressions anthropiques. Elle est publiée dans Science par des auteurs nord-américains et un auteur sud – africain[12], sous la direction de Benjamin Halpern[13] (Université de Californie à Santa Barbara).
Les pressions anthropiques[14] prises ici en considération sont celles dues au changement climatique (élévation de la température de l’eau, réchauffement de l’atmosphère, élévation du niveau de la mer), à la modification de la chimie de l’océan (acidification, désoxygénation), aux activités anthropiques sur les continents (rejets nutritifs, pollution lumineuse, densité des populations côtières), à l’évolution de la productivité marine primaire nette et aux activités halieutiques. Le challenge est de prédire le futur des océans sous les effets cumulés de ces différentes pressions. Le bien être des écosystèmes est affecté à travers des perturbations de la physiologie, de la morphologie, de l’évolution voire de l’existence des espèces et des habitats, et plus généralement des services que les écosystèmes marins rendent à l’humanité
Le futur de l’océan (des zones côtières à l’océan ouvert) est prédit en considérant les impacts cumulés pour deux trajectoires socio-économiques et climatiques du GIEC (voir encart) : une trajectoire modérée (SSP[15]2 - 4.5) et une trajectoire scénario intense du type « business as usual » (SSP5 - 8.5), proche de celle que nous suivrons, si rien ne change dans nos comportements. Les effets à la moitié du siècle sont cartographiés pour l’un des scénarios (Figures 4 et 5) avec une résolution de 10 km.
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Figure 4. Impacts cumulés des différentes pressions sur les écosystèmes marins dans le cas d’une trajectoire socio-économique et climatique modéré (SSP2 - 4.5). A gauche : évolution selon la latitude de l’impact cumulatif moyen de 2040-2060 (en rose) par rapport à 2010-2020 (en violet), de l’Arctique (en bas), à l’Antarctique (en haut). A droite : distribution des impacts cumulés dans l’océan mondial : plus l’indice (de 0.0 à 1.0, du blanc au noir) est élevé, plus les impacts cumulatifs sont forts (crédit : Halpern et al., Science 18 septembre 2025).
Les trajectoires socio-économiques du GIEC[16]
Les trajectoires socio-économiques partagées (en anglais, shared socioeconomic pathways, SSP) sont des scénarios d'évolutions socio-économiques mondiales projetés jusqu'en 2100. Ils sont utilisés pour élaborer des scénarios d'émissions de gaz à effet de serre associés à différentes politiques climatiques.
Cinq scénarios sont envisagés :
SSP1 : Durabilité (« Prendre la route verte »)
SSP2 : Quelques efforts coordonnés pour changer
(« Rester au milieu de la route »)
SSP3 : Rivalités régionales (« Une route cahoteuse »)
SSP4 : Développement inégalitaire (« Une route divisée »)
SSP5 : Développement alimenté par les combustibles fossiles
(« Prendre l'autoroute »)
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A l’échelle mondiale, vers 2050, par rapport à la situation actuelle, les impacts cumulés des différentes pressions anthropiques seront ressentis partout mais de manière inégale selon les régions : les tropiques et les pôles seront particulièrement touchés.
Les figures 4 et 5 représentent les distributions de ces impacts dans le cas du scénario modéré (SSP2 -4.5). Elles montrent que les océans polaires seront parmi les plus affectés. C’est déjà le cas pour l’Arctique qui connait un réchauffement rapide avec régression de la banquise, avec de nombreuses conséquences sur les biotopes marins. Cette étude montre que l’océan Antarctique, pour l’instant moins touché, devrait connaître le même sort que son homologue du Nord (Figure 5).
Sans surprise, les habitats côtiers figurent également parmi les systèmes les plus touchés (Figure 5). Mais les océans du large seront aussi affectés (Figure 5), avec une augmentation plus rapide des impacts cumulés en particulier dans les régions équatoriales, même si le rythme d’impact devrait être plus faible.
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Evolution des impacts sur les ressources halieutiques au niveau mondial
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Si rien de change dans nos pratiques économiques et dans nos comportements sociétaux, cette étude montre que de nombreux pays dépendant de leurs ressources marines devraient subir une forte augmentation des impacts cumulés au cours des prochaines décennies.
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Presque toutes les mers et océans subissent actuellement les effets d’une surexploitation des ressources halieutiques. Le déclin de la biomasse exploitée à cette fin devrait se poursuivre à l'avenir. Cependant, pour les pays dotés d'une gestion plus rationnelle des pêches, les auteurs de l’étude supposent que le prélèvement de biomasse ne descendra pas en dessous d'un seuil considéré comme compatible avec un développement durable, généralement estimé à environ 45 % du stock de la biomasse. Par exemple, l'Europe et l'Amérique du Nord subissent actuellement des impacts élevés liés à la pêche, mais ces impacts ne devraient que très peu augmenter à l'avenir en raison d'une gestion relativement satisfaisante dans ces régions.
La Chine devrait également connaître une faible augmentation à l’avenir, mais cela s'explique par le fait qu'elle pêche déjà dans sa ZEE à des niveaux maximaux, au-delà de ce qui est considéré comme durable. Pour les pays dont la gouvernance prévue en matière de ressources est plus faible, c'est-à-dire la plupart des pays, la biomasse halieutique devrait continuer à diminuer en dessous du seuil de durabilité, ce qui entraînera une augmentation des impacts.
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Figure 5. Vue synthétique de l’évolution des écosystèmes marins sous l’effet des pressions anthropiques cumulées en 2040-2060, dans le cas d’un scénario socio-économique et climatique modéré (SSP2 4.5). Certains écosystèmes (en général en plein océan) seront faiblement affectés (en bleu ou en jaune, avec une évolution temporelle stable ou rapide). Par contre, les zones polaires et de nombreuses zones côtières seront intensément affectées (en rose ou en rouge, avec une évolution temporelle stable ou rapide) (crédit : Halpern et al., Science 18 septembre 2025).
Les auteurs de cette étude prévoient que, si d’ici 30 ans, pour ne sommes pas capables d’évoluer vers une société plus sobre et donc si c’est la trajectoire SSP5 - 8.5 qui prévaut, les impacts se généraliseront à l’ensemble des écosystèmes de l’océan mondial.
Croissance continue des gaz à effet serre, impacts climatique majeurs, atteintes à la biodiversité, menaces sur la renouvelabilité des ressources marines, décidément, l’état de la planète Terre et celui de l’Océan n’est pas satisfaisant. Si rien de change dans notre mode de développement socio-économique, leur futur n’évoluera pas dans le bon sens. L’approche cumulative des différentes pressions qui s’exercent sur l’océan, ici évoquée, s’ajoute aux outils à la disposition des responsables politiques et des gestionnaires pour l’élaboration de décisions stratégiques visant à favoriser une utilisation plus durable des ressources marines et donc à changer de cap. Pour y arriver, il faut tout à la fois changer nos comportements individuels et collectifs, et bien évidemment, parvenir à des accords internationaux.
On voit ici tout l’intérêt des efforts multilatéraux, dont les initiatives de l’ONU (voir Air du temps du 1er septembre 2025), que s’acharne notamment à détruire le clan MAGA.
[3] https://www.pik-potsdam.de/en/institute/labs/pbscience
[4] https://www.bezosearthfund.org/
[5] Global Tipping Points report 2025 : https://global-tipping-points.org
[6] AMOC Atlantic Meridional Circulation = circulation méridienne de retournement atlantique
[7] Mercier et al. 2024 : https://os.copernicus.org/articles/20/779/2024/os-20-779-2024.pdf
[8] https://reporterre.net/Points-de-bascule-climatiques-la-planete-au-bord-d-un-gouffre-imprevisible
[12] https://www.science.org/doi/10.1126/science.adv2906
[13] Pour ceux qui veulent en savoir plus, voir aussi Nature (2012 Aug 30) ; 488(7413):615-20. doi: 10.1038/nature11397
[14] L’impact de chaque pression est normalisé par un index compris entre 0 et 1. Pour en savoir plus, voir le supplémentaire de la référence 5 (ci-dessus)
[15] SSP = Shared Socioeconomic Pathways = trajectoires socio-économiques.
[16] https://fr.wikipedia.org/wiki/Trajectoires_socio-%C3%A9conomiques_partag%C3%A9es