Air du temps
REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE
1er juillet 2025
À bord du Statsraad Lehmkuhl
Quittant Bergen (Norvège) le 11 avril 2025, le trois-mâts Statsraad Lehmkuhl a entamé la One Ocean Expedition, une circumnavigation qui, sur les traces de Roald Amundsen, naviguera par le passage du Nord-Ouest. Du 3 au 13 juin, le navire a fait escale à Nice (France) où s'est tenue la conférence UNOC 2025 de l’ONU. Lucie Cassarino, chercheuse à l’Institut universitaire européen de la mer, est l’une des deux coordinatrices scientifiques de cette expédition. Elle nous fait part de son expérience à bord.

Figure 1.
Lucie Cassarino, chercheuse à l’IUEM, coordinatrice scientifique de One ocean expedition (crédit : Natacha Fabrega)
La décennie des océans (2021-2030) des Nations Unies donne décidément lieu à nombre d’initiatives pour permettre aux terriens de réaliser qu’ils sont en fait embarqués sur le vaisseau spatial planète Océan.
One Ocean Expedition est l’une de ces initiatives prise sous la houlette de la Norvège. Du 11 avril 2025 au 18 avril 2026 elle amène le trois-mâts Statsraad Lehmkuhl à réaliser une circumnavigation. Dans l’hémisphère nord, sur les traces de Roald Amundsen, son périple prendra le mythique passage du nord-ouest et le canal de Panama. La One Ocean Expedition est coordonnée a terre par l’Institut de recherche marine (IMR) de Bergen et, à bord du navire, par Natacha Fabrega, de l’Université de Bergen, et par Lucie Cassarino1, chercheuse à l’Institut Universitaire Européen de la Mer de l’UBO. Elle nous fait part de son expérience à bord d’un navire océanographique unique.
Un fier trois-mâts
Basé à Bergen, le Statsraad Lehmkuhl, construit à Bremerhaven (Allemagne) en 1914, était initialement un navire-école. Aujourd’hui, il est toujours utilisé par la Royale Académie de Norvège et du Danemark pour former ses cadets. Prise de guerre britannique à la fin de la Première guerre mondiale il devint propriété norvégienne en 1923. Il fut réquisitionné par les Allemands pendant la deuxième guerre mondiale, peint en noir, avant de revenir à son port d’attache en Norvège, à l’issue de cette guerre.

Figure 2. Le Stadtraad Lehmkuhl, basé à Bergen, est un trois-mâts de 84,50 m (98 m hors tout), de 12,60 m de large, de tirant d'eau de 5,20 m, doté d’une voilure de 2 000 m2 (22 voiles) et d’un moteur de 450 chevaux (crédit : Lucie Cassarino)
Paul Tréguer (PT) : Comment est né le projet de One Ocean Expedition 2025/2026 et quels sont ses objectifs?
Lucie Cassarino (LC) :
Ce projet s’inscrit dans le cadre de la décennie des Nations unies pour les sciences de la mer (2021-2030). Il est en quelque sort l’ambassadeur de cette décennie et a participé à la 3ème Conférence Océan des Nations Unies, réunie à Nice (France) du 9 au 13 juin 2025. Il a pour objectifs, d’une part d’attirer l'attention du grand public à l’échelle mondiale sur le rôle crucial de l'océan pour un avenir durable et, d’autre part, de partager les connaissances scientifiques acquises lors de cette expédition. Cette dernière se situe dans la tradition des circumnavigations scientifiques initiées par le HMS Challenger (1872-1876)2. Le navire visitera 27 ports différents sur trois continents, et suivra les traces de la modeste Gjøa de Roald Amundsen en empruntant le difficile et fameux passage du Nord-Ouest (Figure 3). Il fera escale à Brest du 18 au 27 mars 2026.
Pratiquement, l’expédition comprend deux types de sections (legs). Des sections ouvertes au grand public et d’autres ouvertes aux groupes de recherche scientifiques et aux séances de formation (training courses) pour des étudiants. Par exemple, trois étudiants en double cursus ENSTA3 /IUEM, Martin Cornille, en deuxième année du Master (M2) physique océan - climat), Kim Monoury–Homet, en M2 physique océan climat), ainsi que Maturin Simonneau (M2 Sciences des données océaniques) ont participé à l’Ocean Synergy Training Course 2025 de l’European Science Agency (ESA), qui s’est déroulé à bord du navire jusqu’au 3 juin 2025. La mission a démarré de Tromsø en Norvège, avec une escale en Islande, et est donc arrivé à Nice pour l’UNOC 2025. Cette activité s’inscrit dans une démarche professionnalisante, contribuant à la formation d’une nouvelle génération d’experts en océanographie et climat. Elle intègre des activités interdisciplinaires, des interactions avec des partenaires privés, et la participation à la Conférence des Nations Unies sur les Océans (UNOC)4.

Figure 3. La circumnavigation du Statsraad Lehmkuhl du 11 avril 2025 au 18 avril 2026 (crédit : One Ocean Expedition)
PT : Comment se passe la vie à bord?

Figure 4. Ensemble des capteurs et observations faites à bord du Statraad Lehmkuhl (crédit : One ocean expedition coordinators)
LC : Le Statsraad Lehmkuhl est dirigé en alternance par les capitaines Marcus Albert Seidl et Jens Joachim Hiorth, deux Norvégiens. De même, Natacha et moi, conduisent les activités scientifiques à tour de rôle.
A bord, un équipage permanent d'environ 45 marins professionnels et apprentis, qui travaillent par rotation mensuelle. En plus des employés, nous avons le plaisir d'avoir à bord plusieurs bénévoles compétents. La plupart d'entre eux travaillent sur le pont et suivent une formation maritime. Pour travailler en tant que volontaire sur le pont du Lehmkuhl, il faut au minimum avoir suivi un cours de sécurité de base pour les marins et parler l'une des langues scandinaves. L’équipage dispose de cabines. Comme dans l’ancien temps, les passagers, dont les océanographes, disposent de hamacs. Mais, contrairement à ce que l’on pourrait penser, en cas de mer agitée, ces hamacs sont confortables car ils sont munis de matelas et accrochés dans le sens longitudinal, d’autant que le Statsraad Lehmkuhl est bien adapté aux mers, parfois rudes, régnant dans l’océan Atlantique nord.
Au pont et à la machine, les personnels (hommes et femmes) fonctionnent classiquement en 3 quarts, les bleus, les rouges et les blancs. Si les coordinatrices scientifiques sont hors quart, elles travaillent quasiment en continu.
Le trois-mâts navigue normalement à la voile. Cependant, pour les sections nécessitant du travail à des stations océanographiques dont les coordonnées géographiques sont imposées, le navire marche au moteur Aux stations, l’utilisation combinée des voiles ou du moteur permettent de garder une bonne stabilité du navire s’il y a trop de dérive.
PT : Quels travaux scientifiques sont effectués à bord ?
LC : La grande différence par rapport à un navire océanographique ordinaire c’est que le travail océanographique de nuit n’est pas possible à bord du Statsraad Lehmkuhl. Ceci étant, c’est un navire très opérationnel pour des travaux d’océanographie classique.
Grâce à un treuil, opérationnel à bâbord comme sur tribord aux stations océanographiques de positions prédéterminées, nous pouvons mettre à l’eau une sonde CTD Seabird. Elle nous permet de suivre les variations verticales de la température, de la salinité, de la pression, de la densité, de l’oxygène dissous, du pH, de la turbidité et de la fluorescence (chlorophylle), et ceci dans la couche 0 – 1200 mètres.

Figure 5. La CTD Seabird, avec sa rosette de bouteilles Niskin, mise en œuvre à bord du Lehmkuhl.
A la CTD est associée une rosette de 12 bouteilles de 2 litres et demi (Figure 5), afin d’échantillonner les eaux où seront mesurées ultérieurement les variations isotopiques de l’oxygène. Des prélèvements sont effectués deux fois par jour dans les eaux de surface, également pour l’étude des variations isotopiques de l’oxygène par l’Institut of Marine Research de Bergen. Des échantillons sont de surcroît collectés pour la détermination de l’ADN environnemental.
Afin d’évaluer la pollution des océans par les matières plastiques, des prélèvements d’eau de surface sont réalisées tous les trois jours grâce à une pompe. Occasionnellement, des échantillonnages de microplastique sont effectués à l'aide d'un filet.
Dans la quille du navire, deux ADCP5, des échosondeurs et des hydrophones enregistrent en continu des données sur la structure physique des océans, ainsi que sa composition et les sons d’origine naturelle et anthropique (Figure 3) .
Les mâts, eux aussi, sont équipés de capteurs météorologiques (vent, humidité et précipitation) et d’intensité lumineuse (Figure 4).


Figure 5. Le Lemhkuhl en navigation (crédit : Jesper-Rosenmai)
L’aventure s’avère passionnante.
Tout d’abord, du point de vue des relations humaines : on devine l’ambiance sur le pont quand tout le monde est convié à la manœuvre pour hisser ou affaler les voiles de cet immense navire !
Mais aussi du point de vue scientifique par la diversité des environnements que nous traversons. J’attends avec impatience la navigation dans les zones arctiques canadiennes avec, en particulier, la perspective du passage du Nord-Ouest qui se fera sous la houlette de The Arctic University of Norway6.
Rendez-vous à Brest les 27-28-29 mars 2026 !!!
1. Lucie Cassarino, titulaire d’un master de chimie marine de l’IUEM-UBO, d’un doctorat en chimie isotopique de l’Université de Bristol (Grande Bretagne), est actuellement en post-doctorat au LEMAR (IUEM).
2. Guy Jacques, Paul Tréguer, Herlé Mercier. Océans : évolution des concepts. ISTE (2020)
3. ENSTA = L'École nationale supérieure de Techniques avancées Bretagne (ENSTA) est une grande école d'ingénieurs pour la défense, le développement maritime et les entreprises de haute technologie
4. https://isblue.fr/newsletter/6-newsletter-isblue-mai-2025/
5. Les courantomètres acoustiques à effet doppler ou ADCP sont composés de transducteurs piézoélectriques pour la transmission et la réception de signaux acoustiques, ainsi que d’une partie électronique/informatique assurant la génération et l’acquisition de ces signaux. Le signal acoustique émis par le capteur à une fréquence donnée, se propage dans l’eau et est rétrodiffusé par les particules et le plancton (krill, copépodes, ptéropodes…) présents dans l’eau. Les signaux rétrodiffusés sont reçus au niveau du capteur puis traités.