Air du temps
REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE
1er décembre 2024
Parc éolien marin et observation de la nature
Résumé :
Le parc éolien de la baie de Saint-Brieuc fonctionne à plein régime depuis le printemps 2024. C’est un outil important dans le cadre de l’indispensable transition énergétique et écologique. Il est également devenu un site d’observation scientifique de l’environnement marin et de l’avifaune. Sa production d’énergie génère une taxe éolienne de près de 9 millions d’euros par an qui revient aux communes littorales attenantes et aux professionnels de la mer. Un centre de maintenance est en cours d’installation à Saint-Quay-Portrieux. Il doit créer 80 emplois permanents pendant 25 ans.
Figure 1. Localisation du parc éolien Iberdrola de la baie de Saint-Brieuc. Il s’étend sur 75 km2. L’éolienne la plus proche est à 16,3 km du rivage. Il se situe à l’écart de la zone principale de pêche de la coquille Saint Jacques dans cette baie. Depuis le 1er juillet 2024, les activités maritimes et la pêche ont repris dans le parc éolien.
Préparer une France à +2,7° en 2050, tel est l’objectif du troisième Plan national d’adaptation au changement climatique[1]. Ce plan est ambitieux, mais la France se donne-t-elle les moyens de la transition énergétique pour décarboner son économie ? Les commentateurs en doutent. Quoi qu’il en soit, cette transition passe par le développement accéléré des énergies renouvelables et notamment de l’éolien en mer.
Dans ce contexte, avec l’usine marémotrice de la Rance (240 mégawatts, MW), en fonctionnement depuis 1966, la région Bretagne possède un premier atout. L’inauguration du parc éolien marin de la baie de Saint-Brieuc en septembre 2024, lui donne un second. Pour faire le point sur ce parc, j’ai interviewé Stéphane Alain RIOU, directeur éolien en mer France d’Iberdrola[2]. Il a dirigé les études préliminaires et l’implantation des éoliennes de ce parc. Il manage désormais leur exploitation ainsi que le suivi scientifique des impacts sur l’environnement.
Figure 2.
Stéphane Alain RIUO,
directeur éolien en mer d’Iberdrola France
(crédit : SAR)
La production d’énergie électrique
Paul TREGUER (PT) : Pouvez-vous nous rappeler les caractéristiques de ce parc éolien en puissance et en énergie produite annuellement ?
Stéphane Alain RIOU (SAR) : Le parc de la baie de Saint-Brieuc comprend 62 éoliennes Siemens Gamesa de 8 mégawatts chacune. Elles ont été mises en service progressivement à partir de juillet 2023. La puissance totale est de 496 mégawatts[3]. Les turbines sont réparties sur une aire de 75 km², la plus proche étant implantée à 16 km du rivage. L’énergie annuelle produite est de 1820 gigawatts-heures, ce qui couvre les besoins en énergie de 835 000 habitants, soit bien plus que celle nécessaire au seul département des Côtes-d’Armor. Ceci représente 9% de l’énergie électrique consommée en Bretagne. L’énergie produite par le parc éolien est bien sûr distribuée par RTE (Réseau de Transport Électrique), connecté nationalement et internationalement, ce qui permet d’amortir les fluctuations dans la production d’électricité. En fait, avec ce parc, la Bretagne produit désormais le quart de l’énergie qu’elle consomme.
PT : Quel est le facteur de charge[4] et comment optimisez-vous la production d’énergie en fonction de la météo ?
SAR : Le facteur de charge est de 45%, nettement supérieur aux machines terrestres[5]. En fait, les turbines tournent avec des vents compris entre 10 et 110 km/h. Pour des vents plus intenses, elles se mettent automatiquement en pause. À noter qu’elles n’ont subi aucun dommage pendant la tempête Ciaran[6] (>175km/h sur site). Pour un fonctionnement optimal, nous bénéficions des prévisions météo du centre de ressources Iberdrola implanté à Montpellier. Ce centre a accès aux données et modèles les plus pertinents en matière de prévisions météorologiques européennes et mondiales.
Figure 3. Le parc éolien comprend 62 éoliennes Siemens Gamesa de 8 mégawatts chacune (crédit : Iberdrola France, C . Beyssier)
PT : La maintenance des structures métalliques sur lesquelles reposent les machines est-elle un enjeu ?
SAR : Enjeu majeur, car c’est la fondation qui va déterminer la durée de vie totale de l’éolienne en mer ! Le contexte mégatidal (4 mètres en mortes-eaux, près de 13 mètres en vives eaux) est une caractéristique unique de cet environnement marin. Il ne facilite pas les opérations de maintenance des structures métalliques. De plus, il s’est avéré que les eaux de la baie sont très chargées en matières organiques, ce qui favorise un rapide fouling[7] de ces structures. Nous nous en débarrassons régulièrement en utilisant des ROVs.
Un observatoire de l’environnement marin
PT : S’agissant du suivi de l’environnement et des impacts sur la faune et l’avifaune où en êtes-vous ?
SAR : Il me faut d’abord rappeler la phase préliminaire (2015-2017) avant le chantier d’installation proprement dit. Elle permet d’établir l’état initial de l’environnement s’agissant notamment des cycles biologiques des organismes marins et de l’avifaune hôtes naturels du site d’implantation. Puis est venu l’établissement de l’état de référence (2019-2021) des ressources et des espèces naturelles, avant que ne commencent les travaux de forage proprement dits pour implanter les structures métalliques support des éoliennes, phase d’observation qui s’est poursuivie durant toute la période de travaux jusqu’en 2024. Nous sommes maintenant passés au suivi pluriannuel de l’évolution de l’environnement à l’aide de nombreux capteurs, de caméras haute définition, de radars, ce qui permet de suivre l’environnement physique et biologique y compris dans le domaine halieutique. Cet ensemble d’observations fait de la baie de Saint-Brieuc l’un des environnements marins les mieux observés en France, à la grande satisfaction d’organismes comme l’Ifremer ou le Service Hydrographique de la Marine (SHOM). L’Observatoire national de l’éolien en mer, récemment mis en place au niveau national, a commencé à agréger l’ensemble des données recueillies pour l’ensemble des parcs éoliens en mer.
Les efforts consentis en termes d’études d’impacts et de suivi de l’évolution du milieu marin nous rendent très fiers de ce que nous avons accompli. Ils bénéficient à la recherche fondamentale (par exemple s’agissant de la mesure des impacts acoustiques sur les coquilles Saint-Jacques lors de la mise en place des structures métalliques), mais aussi quant à l’adaptation de protocoles expérimentaux transposés en milieu naturel. Des laboratoires universitaires ont été mis à contribution, ainsi que le CNRS, le MNHN, des universités européennes, mais aussi les associations environnementales comme Vivarmor, Bretagne Vivante, le Syndicat des Caps etc… Des bureaux d’étude ont pu breveter des systèmes qui vont pouvoir être utilisés ultérieurement. Au total, nous avons pu créer un véritable continuum recherche-développement, ce qui est rare dans un délai aussi court.
PT : Quels sont les éléments saillants de cet ensemble d’observations ?
SAR : La première observation est que les ondes acoustiques sont absorbées très fortement dans la baie : l’atténuation est très importante dans un rayon de 100m autour des navires d’installation. S’agissant de la période de forage des pieux, caractérisée par des perturbations acoustiques potentielles pour la faune marine, il s’est finalement avéré que la source principale du bruit sous-marin était due au bateau d’installation lui-même plutôt qu’aux foreuses proprement dites. Les bruits de ce navire, de l’ordre de 190 Db (autant qu’un porte-conteneurs), générés par ses équipements en action (usine à ciment, manutention des pieux, grues diverses…), sont transmis au milieu marin par les « jambes » qui le relient au sol. C’est un enseignement précieux pour les chantiers navals dont il faudra tenir compte pour les navires d’installation à venir.
Figure 4. La voie migratoire des Puffins des Baléares, qui remonte en été jusqu’aux îles britanniques, n’est pas perturbée par le parc éolien de la Baie de Saint-Brieuc (crédit : Robert Balestra).
S’agissant de l’avifaune et du passage des oiseaux migrateurs, l’un des intérêts du suivi (à l’aide de radars, de caméras HD et d’observations à terre par les associations environnementales) concerne les puffins des Baléares[8]. Il s’agit d’oiseaux parmi les plus menacés d’Europe, qui nichent sur les îles Baléares, mais remontent jusqu'aux îles britanniques à la fin de l'été. En fait, ils volent entre 0 et 40 mètres et il s’est avéré par des mesures de terrain qu’ils ne sont, en effet, pas perturbés par nos éoliennes, car leur couloir effectif de migration se situe nettement au-dessous de l’espace concerné par la rotation des hélices. Une success-story, donc. Nos observations ont également montré que les vols d’autres oiseaux migrateurs, dont le couloir passe au-dessus de la zone du parc, ne sont pas affectés par son activité : des mesures de réduction des feux de sécurité sont en place pour atténuer la photo-attractivité de nuit. On nous a également demandé de quantifier l’impact potentiel sur les chauves-souris, bien que nous soyons loin de leurs espaces terrestres privilégiés. Les contacts observés sont anecdotiques : c’est la première fois qu’on mettait ce type de mesure en place en France. Au-delà des études bibliographiques, importance de la vérité – terrain, donc.
À noter également qu’aucune perturbation sur les mammifères marins n’a été constatée pendant les 3 ans de travaux (hydrophones, observateurs à bord des navires de construction, survols aériens). Nous avons pris des photos magnifiques de trois dauphins en train de chasser alors que les 3 foreuses étaient en action simultanément.
L’acceptabilité sociale du parc éolien
PT : S’agissant de l’acceptabilité du parc éolien, comment la situation a-t-elle évolué ?
SAR : La situation initiale était paradoxale. Le site d’implantation des éoliennes de la baie de Saint-Brieuc avait été déterminé de concert entre les autorités représentant l’État, la région Bretagne et les usagers de l’espace maritime dans le cadre des réunions de la Conférence Régionale de la Mer et du Littoral (CRML)[9]. Parmi les usagers figuraient bien entendu les marins-pêcheurs et les comités locaux et régional des pêches. Mais depuis les réunions initiales datant de la première décennie de ce siècle les personnes avaient changé et les pratiques de pêches s’étaient parfois modifiées, ce qui a pu conduire au rejet du projet de parc éolien par certains professionnels de la mer. Il faut dire aussi que c’était nouveau ici en France, et en Bretagne. À ceux-ci se sont jointes des oppositions de nature idéologique ou de partisans de la conservation des paysages.
Aujourd’hui, grâce, entre autres, aux réponses scientifiques apportées, la situation s’est sensiblement normalisée, tant au sein des professionnels de la mer que du grand public. Il suffit d’embarquer à bord des vedettes de Bréhat qui visitent quotidiennement le site pour entendre les réflexions du public. Il manifeste sa fierté de voir la Bretagne bénéficier d’un tel équipement totalement cohérent avec la nécessaire décarbonation de nos énergies dans un contexte de société sobre.
PT : Quels sont les retours financiers pour les communes environnantes et les professionnels de la mer ?
La « taxe éolienne » définie conformément à la loi s’élève à près de 9 millions d’euros par an pour ce parc. À partir de 2024, 50% de cette taxe reviendra aux cinq communes situées dans la limite des 12 milles nautiques (Erquy, Fréhel, Pléneuf-Val-André, Plévenon et Plurien), 35% aux comités des pêches (local, régional et national), les 15% restant revenant à la Société nationale de secours en mer (SNSM) et à l’Office Français de la Biodiversité (OFB).
Je voudrais également signaler un autre retour important pour la région. Il s’agit de l’installation prochaine à Saint-Quay-Portrieux du centre de maintenance du parc qui fonctionnera pendant la durée de vie des éoliennes (25 ans). Il devrait accueillir 80 emplois permanents
[1] https://www.adaptation-changement-climatique.gouv.fr/comprendre/strategie/plan-national-dadaptation0
[2] https://www.iberdrola.fr/
[3] Une centrale thermique nucléaire classique produit 1200 MW.
[4] Facteur de charge d’une éolienne : rapport entre la puissance maximale théorique d’une éolienne (c’est-à-dire sa production si le vent soufflait 100 % du temps à la vitesse nominale) et la production qui a effectivement lieu, au cours d’une année.
[5] le facteur de charge moyen du parc éolien français entre 2012 et 2019 était de 22,5 %. Il varie entre 21 et 25 % selon les années
[6] Pendant la tempête Ciaran des vents jusqu’à près de 200 km/h ont soufflé en Bretagne dans la nuit du 1er au 2 novembre 2023,
[7] Fouling : accumulation d’organismes sur la coque des navires et sur les structures fixes en mers, nécessitant un entretien régulier.
[8] Le Puffin des Baléares (Puffinus mauretanicus) est une espèce d'oiseau de mer de la famille des Procellariidae.
[9] https://www.bretagne.bzh/app/uploads/Politique-regionale-mer-et-littoral-2023.pdf