top of page

Air du temps

REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE

1er octobre 2024

Quel est l’état de l’océan en 2024 ?

Résumé :  

L’UNESCO et la Commission océanographique Internationale ont publié le bilan 2024 sur l’état de l’océan mondial. Pollutions en tous genres, impacts du changement climatique, surexploitation des ressources, atteintes à la biodiversité... la liste est longue et l’état de l’océan ne s’améliore pas. Pour assurer la transition vers « l'océan dont nous avons besoin pour l'avenir que nous voulons », tout est à repenser. Mais nous avons des outils pour redresser la barre.

Figure 1 indice d'eutrophisation.jpg

Figure 1.

Variation de l’indice d’eutrophisation potentiel des eaux côtières (ICEP) de 1970 à 2010. Cet indice est calculé à partir des excès d’azote ou de phosphore (par rapport au rapport de référence dit de Redfield) et est exprimé en production potentiel de carbone des algues non siliceuses en kg C par km2 et par jour[1]. Si la situation de la mer du Nord s’est améliorée en 40 ans, on voit par contre l’augmentation spectaculaire de cet indice (passage du vert au jaune) pour les eaux côtières de l’Amérique du sud-est et de l’Asie du sud-est.

L’avenir de l’océan est décidément à l’ordre du jour[2]. « La vie marine ne devrait pas être l’objet d’une course aux ressources motivées par des gains privés » clame Callum Roberts de l’Université d’Exeter, « Tout est à repenser » résume Didier Gascuel de l’Agro Campus de Rennes. Ce sont deux des trente cosignataires de renom d’une étude scientifique récemment parue ((référence 2) pour lancer un appel pour une pêche durable.

Quel est donc l’état de l’océan mondial en 2024 ?

Dans le cadre de la décennie de l’ONU sur l’océan et le développement durable, l’UNESCO[3] et l’IOC[4] viennent de faire le bilan[5]. Celui-ci rappelle en premier lieu le rôle clef joué par l’océan dans la régulation du climat, en absorbant la chaleur produite par l’excès de gaz de serre d’origine anthropique et une partie des émissions de CO2. Ce sont des éléments déjà décrits dans l’Air du temps du 1er juin et dans mon récent ouvrage[6] et je n’y reviens donc pas. En second lieu, ce bilan insiste sur l’eutrophisation croissante des zones côtières et sur la tendance de l’océan à perdre du dioxygène, ce qui pourrait constituer une menace pour la vie marine. En dernier lieu, il fait le point sur des stratégies mises en œuvre pour que l’océan puisse continuer à rendre à l’humanité les innombrables services qu’il lui délivre depuis la nuit des temps.

Une euthrophisation croissante des eaux côtières

Les excédents d’azote minéral et organique déversés dans les eaux côtières par les fleuves provoquent leur « eutrophisation », favorisant le développement de micro algues non siliceuses, moins favorables que les autres comme support de nourriture de la chaîne alimentaire marine. Si dans les eaux côtières des pays industrialisés (exemple de la mer du Nord) (Figure 1) la charge anthropique d'azote (avec des rapports azote sur phosphore (N :P) élevés) a diminué au cours des dernières années, dans d'autres eaux côtières les rapports N:P continuent d'augmenter régulièrement, en particulier dans les eaux des pays en pleine expansion, comme dans le Brésil, l'Inde et la Chine (BIC) (Figure 1).

L’océan perd du dioxygène 

L’océan échange en permanence du dioxygène avec l’atmosphère. Dans la couche de surface la concentration de dioxygène dissous (dite « à l’équilibre ou « à saturation ») ne dépend que de la température et de la salinité de l’eau de mer. Dans les eaux froides les concentrations de dioxygène dissous sont naturellement plus élevées que dans les eaux chaudes car la solubilité des gaz augmente quand la température décroît.

Sous l’effet du changement climatique les eaux de surface et profondes se réchauffent[7] et donc l’océan perd du dioxygène.

Figure 2-Hypoxie anoxie.jpg

Figure 2.  Points rouges : eaux côtières à faibles teneurs en dioxygène de façon permanente ou temporaire. Selon Breitburg et al. (2018)[8].

Une perte de dioxygène peut être induite par un second mécanisme. En effet, dans les eaux côtières eutrophisées (Figure 1), la dégradation de la matière organique rejetée à la mer depuis les continents ou formée in situ par la chaîne alimentaire consomme du dioxygène dissous. Sa concentration dans l’eau de mer diminue et elle devient « hypoxique » (pauvre en dioxygène) (Figure 2). On remarque la cohérence avec la Figure 1 : dans les zones où l’eutrophisation est importante l’eau de mer est moins riche en dioxygène. Quand cette concentration en dioxygène s’annule les eaux deviennent « anoxiques » (dépourvues de dioxygène), comme les eaux profondes de la mer Baltique (voir aussi référence[9]) ce qui perturbe la vie marine.

Stratégies pour redresser la barre :

Pour redresser la barre il faut diminuer les pressions multiples qui s’exercent sur les océans et réduire les rejets et pollutions de toute nature (rejets d’origine agricoles, industriels, urbains, plastiques, fibres synthétiques, pollutions acoustiques…). Mais il faut aussi accélérer la transition énergétique et écologique dans le cadre d’une société plus sobre, avec passage accéléré aux énergies décarbonées.

Différents outils sont également à notre disposition.

Pour protéger la biodiversité marine directement menacée par la surexploitation de certaines espèces dans de nombreuses zones de pêches, des aires marines protégées (AMP, MPA en anglais) ont été mises en place, au total 28 millions km2 soit 8 % de la surface de l’océan mondial. L’objectif est d’atteindre 30% à la fin de cette décennie. Les aires marines protégées (AMP) sont considérées comme des lieux propices à la protection de la biodiversité, car elles abritent 72 % des 1 500 espèces marines menacées figurant sur la

« liste rouge » de l'UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Selon les nouvelles données de l'UNESCO, plus une AMP bénéficie d’un niveau de réglementation élevé, mieux elle protège les écosystèmes locaux.

Figure 3 niveau de protection des espèces.jpg

Figure 3. Rôle des Aires Marine Protégées (AMP) dans la protection des groupes de haut niveau trophiques. Seuls les groupes dont le niveau de protection est > à 2 peuvent être considérés comme protégés dans des AMP. Crédit : OBI/IOC-UNESCO.

À ce jour, plus de 93 000 espèces marines ont été répertoriées dans les AMP. Si l'on considère les grands groupes taxonomiques (Figure 4), la plupart des espèces de tortues marines et d'oiseaux de mer et plus de 50 % des poissons, requins, raies et mammifères ont fait l'objet d'enregistrements d'occurrence dans au moins une AMP actuelle. Néanmoins, une grande partie des grands groupes de la vie marine n’est pas répertoriée et donc protégée dans des AMP (niveau 2 ou moins, Figure 4). La notion d’AMP est en fait très flexible et la pêche n’est pas exclue dans la plupart d’entre elles. Développer les AMP est donc utile mais toute prédation humaine doit y être sérieusement régulée.

La planification spatiale marine (PSM, MSP en anglais) a été mise en place et financée par la Commission européenne en 2016. Il s’agit d’un processus de concertation rassemblant les multiples usagers de l'océan, y compris la pêche, la production d’énergie, les activités industrielles, la protection de la nature et les loisirs. L’objectif est de leur permettre de prendre des décisions éclairées et coordonnées pour utiliser les ressources marines de manière durable. En pratique la PSM se base sur l’établissement de cartes intégrées permettant d'identifier les usagers et les ressources naturelles et habitats existant. Il s'agit d'une approche similaire à l'aménagement du territoire, mais pour les eaux marines il s’agit de limiter les conflits entre acteurs et activités, favoriser les synergies, et trouver des solutions.

Figure 4 DTO.jpg

Figure 4. Un jumeau numérique de l’océan : comment cela marche ?  Grâce aux nombreux observations de l’état de l’océan réel partout dans le monde et aux modèles mathématiques on peut construire un jumeau numérique de l’océan. Celui-ci devient un outil pour voir comment l’océan réel pourrait réagir si l’on modifie des paramètres (effets du changement climatiques, effet des tempêtes, impacts de l’exploitation halieutique sur les écosystèmes marins, etc.). Crédit : Pierre Bahurel, Mercator Ocean.

Depuis quelques années se développent des jumeaux numériques de l’océan (en anglais : Digital Twins of the ocean) établis de l’échelle locale à l’échelle globale. Ce sont des outils prometteurs alimentés par les nombreuses observations de l’océan, in situ et par satellite (rassemblées dans des banques de données, big data), mises en place depuis une cinquantaine d’années.

Figure 5a Aerial-view-Bin-Bei-area-Xiamen-Image-credit-Xiamen-University copie.png
Figure 5b Shanghai 2015.jpg

Figure 5. Gauche : vue aérienne de la zone de Bin Bei à Xiamen (Chine) (crédit : Xiamen University). Droite : vue de Shanghai non loin du débouché du Yangtsé (crédit : Paul Tréguer).

En février 2022, La Commission européenne a lancé le jumeau numérique européen de l'océan (DTO européen) lors du sommet One Ocean summit à Brest. Principal élément du système de connaissances numériques sur les océans dans le cadre de la mission de l'Union Européenne « Restore our Ocean and Waters », le DTO européen a pour ambition de rendre les connaissances sur les océans facilement accessibles à tous les décideurs politiques internationaux, les gouvernements nationaux, les chercheurs, les entreprises, les entrepreneurs, les activistes et les citoyens. Un DTO est un ensemble innovant d'outils interactifs et décisionnels axés sur l'utilisateur, étayés par la science et les données. La Chine a, de son côté, lancé plusieurs outils de type DTO (cf. la déclaration de Xiamen, 2023[10]) en particulier pour la gestion des eaux littorales de zones densément peuplées, par exemple la baie de Xiamen (province du Fujian, face à Taiwan), et l’estuaire du Chang Jiang (Yang Tsé) au niveau de Shanghai (Figure 5).

Conclusion

Si l’attention portée à l’océan progresse et si des outils tels que le Marine Spatial Planning, les Jumeaux Numérique et les Aires Marines Protégées commencent à se développer, il est clair qu’ils sont actuellement insuffisants pour assurer la transition écologique, et pour aller vers « l'océan dont nous avons besoin pour l'avenir que nous voulons » (référence 4). La Conférence internationale qui se tiendra à Nice en juin 2025 est une nouvelle opportunité pour que les nations se concertent afin d’arrêter de dégrader l’état de l’océan qui rend à l’humanité des services incommensurables. Cela suppose une volonté politique des nations concernées. A suivre…

[1] Billen, G. and Garnier, J., 2007. River basin nutrient delivery to the coastal sea: Assessing its potential to sustain new production of non-siliceous algae. Marine Chemistry, Vol. 106 (1–2), pp. 148–60. ttps://doi.org/10.1016/j.marchem.2006.12.017

[2] https://journal.lemonde.fr/data/4047/reader/reader.html?t=1727173510327#!preferred/0/package/4047/pub/5715/page/7

[3] UNESCO = Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture.

[4] IOC= Commission océanographique intergouvernementale de l’UNESCO

[5] State of the ocean report 2024, UNESCO & IOC

[6] Paul Tréguer. L’océan est-il le maître du climat ? éditions Apogée (2024)

[7] Tréguer, P. 2024. L’océan est-il le maître du climat ? ed. Apogée, 72p.

[8] Breitburg, D, et al. 2018. Declining oxygen in the global ocean and coastal waters. Science 359, 46

[9] Jacques, G., Tréguer, P., Lemercier H. 2021. Océans, évolution des concepts. ISTE, 312p.

[10] https://www.ezices.cn/ditto2023/Xiamen_Declaration_Statement.pdf

bottom of page