Air du temps
REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE
1er janvier 2025
Le blanc vire au vert...
Résumé :
Non, ce n’est pas l’extrême droite qui devient écolo…je veux parler de la Péninsule Antarctique et du Groenland où des étendues blanches et glacées se marquettent de verdure depuis plusieurs années. C’est à la fois sympathique pour tous les amoureux des régions polaires, dont je suis, mais inquiétant, car cela concrétise l’intensité et la rapidité du changement climatique.
Quand en mars 1987, le Marion-Dufresne croisait dans le détroit de Bransfield, entre l’île du Roi-George et la péninsule Antarctique, mon tour d’horizon ne rencontrait que des terres et des îles englacées (Figure 1).

Figure 1. En mars 1987, le détroit de Bransfield entre la Péninsule Antarctique, l’île du Roi-George (King George island) et son cortège d’îlots des Shetland du sud, est bordé de terres et d’îles englaces (crédit : Paul Tréguer).
Mais depuis cette époque les paysages de ces terres lointaines ont considérablement changé, et rapidement.
On se croirait à Crozet ou aux Kerguelen…
Effectivement, les chercheurs du British Antarctic Survey, familiers de la Péninsule antarctique, signalent, depuis cette époque, le développement de tâches de verdure sur le cortège d’îlots de l’île du roi Georges. Un récent article de Thomas P. Roland(1) vient récemment de faire le point sur cette avancée du vert dans le blanc depuis 1986. Plusieurs des îlots des Shetland du sud sont désormais recouverts de colonies de mousses, en forme de petits monticules ou de prairies (Figure 2). Nous sommes à 62° de latitude sud, mais on se croirait à aux îles Crozet ou Kerguelen, c’est-à-dire entre 46° et 50° sud.
%20Barrientos%20island%20(62%C2%B0S)%20Antarctica.jpg)
Figure 2. A proximité de l’île englacée du Roi-George, dans les îlots de Ardley (a) et de Barrientos (b) se développent des mousses qui s’assemblent en monticules ou s’étendent en prairie (crédit : Thomas P. Roland, référence 1).
Les mousses ont un rôle central dans la conversion de surfaces de roches nues en sols végétalisés. Les observations ci-dessous sont-elles donc un indice du « verdissement » de l’Antarctique en relation avec le changement climatique, comme c’est le cas en Arctique (voir ci-dessous) ?
Les figures 3 et 4 ne laissent guère de doute sur le processus en cours depuis 35 ans. En utilisant les données satellitaires Landsat, Thomas P. Roland répond à la question (référence 1) : la surface végétalisée dans l’Antarctique de l’ouest a cru de 0,7 à 12 km2. C’est un accroissement modeste, mais significatif et l’amorce d’un processus de plus grande ampleur, comme dans l’ Arctique.

Figure 3. Données Landast : évolution des surfaces végétalisées dans l’Antarctique de l’ouest, depuis 1986. NDVI = Normalised difference vegetation index ; TCG= Tasselled Caped Greenness. Crédit : référence 1.

Figure 4. La complexité spatiale et temporelle de la tendance au verdissement de la Péninsule antarctique. Trend= tendance de 1981 à2021 montrant la direction de la tendance et le niveau de confiance. NDVI = Normalised difference vegetation index. Crédit : référence 1.
Le verdissement du Groenland est déjà bien engagé :
Il n’est pas inutile de rappeler ici l’histoire de la découverte du Groenland par Erik le rouge, explorateur norvégien né vers 950 et mort vers 1003. Banni d'Islande pour meurtre, il est resté dans l'histoire pour avoir fondé, vers 985-988, la première colonie européenne au Groenland, selon la saga dite « d'Erik le rouge(3) ». La découverte de cette terre remonte, semble-t-il, au siècle précédent (entre 876 et 932). En plein optimum climatique médiéval, l’expédition d’Erik Le Rouge voit apparaître des terres vertes qui tranchent avec l’horizon englacé. La saga raconte qu’il appela Groenland (Grønland en danois « terre verte ») dans le but d'y attirer le plus de colons possible. La découverte de cette immense terre de l’ouest donne lieu à de nombreux récits mythiques.
Sur celui de Snäbjörn Galti, écouter mon conte https://radioevasion.fr/audio/LEMRUB-conte-polaire-Paul-Treguer-la-pierre-magique.mp3

Figure 5. Qassiarsuk, site d’implantation d’Erik Le Rouge, est situé à la pointe sud-ouest du Groenland (Crédit : Greenland travel)

Figure 5 : Etat de la végétation de type tundra et plus dense au Groenland en 2O10. Crédit : référence
Dans un récent article paru dans Scientific reports, Michael Grimes de l‘Université de Leeds (Grande-Bretagne) et ses collaborateurs(4) ont montré que le couvert végétal du Groenland (Figure 5) a doublé en 30 ans. Pendant cette période, le couvert glaciaire a diminué de 28 700 km2 (sur un total de plus de 2000 millions de km2) faisant apparaître la roche à nu, progressivement peuplée de toundra puis d’une végétation humide plus abondante.
Incontestablement les royaumes des glaces verdissent. C’est à la fois sympathique pour tous les amoureux des régions polaires, dont je suis, mais inquiétant, car cela concrétise la réalité de l’intensité et de la rapidité du changement climatique.
Un récent rapport rédigé par 97 scientifiques révèle l’évolution rapide de l’Arctique(5). Avec le réchauffement spectaculaire des températures, la productivité et la croissance des végétaux sont activées ce qui pompe du gaz carbonique, côté positif. Mais, de l’autre côté, cette augmentation provoque la fonte du pergélisol (permafrost), exacerbant la croissance des microorganismes qui décomposent la matière organique avec, à la clef, la production de gaz carbonique de méthane. La toundra arctique émet désormais davantage de CO2 qu’elle n’en absorbe(6). Si l’on se souvient que celui-ci contient le double de la quantité de CO2 présente dans l’atmosphère et le triple de ce qui a été émis par les activités humaines depuis 1850, « il y a le feu ». Dans ce contexte, l’échec de la COP 29 de Bakou doit nous faire réagir. Nous y reviendrons.