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MON PETIT PRINCE

Préface

J’ai souvent navigué à bord de navires océanographiques dans l’Atlantique et dans l’océan Austral1. En Afrique du nord et saharienne, et en Patagonie à l’extrémité australe des Andes, j’ai fait escale à Casablanca, à Port-Etienne, à Dakar, et à Punta Arenas,… autant de lieux magiques qui évoquent l’aventure de l’Aéropostale. Aujourd’hui, je peux vous l’avouer : j’y suivais les traces d’Antoine de Saint-Exupéry. Ses ouvrages, « Courrier Sud », « Vol de nuit », « Pilote de guerre », « Terre des Hommes », « Lettre à un otage », « Citadelle »,

« Le Petit Prince », ont enchanté mon adolescence et au-delà.

Les philosophes ont parfois reproché à l’auteur de « Terre des Hommes » d’énoncer des évidences. Ils ont probablement raison. Mais dans ce monde surinformé, où l’esprit de l’homme est sans cesse sollicité par des futilités, il n’est pas inutile de rappeler des évidences, de revenir à l’essentiel, à ce qui fonde notre humanité.

Antoine de Saint-Exupéry me pardonnera de lui emprunter le fascinant personnage du Petit Prince pour un nouveau conte polaire2. Au-delà du réel, ce mode d’expression nous offre une voie pour franchir le miroir. Les contes nous ouvrent les portes de l'imaginaire, pour entrer dans les rêves des explorateurs polaires.

Des rêves qui nous parlent de raisons de vivre, de dépassement, et de solidarité entre les hommes, condition de notre survie…

1 Journal d’un océanographe – sur le rebord du monde. Paul Tréguer, Elytis, 2018.

2 https://www.reperes-evolutiondumonde.fr/contes-pol-1

I-Météorites

Le ciel est d’un bleu azur très pur. Confortablement installé sur mon Ski-Doo électrique je glisse allègrement sur la surface du plateau polaire antarctique.

Voici vingt heures que j’ai quitté la base américaine Amundsen – Scott du pôle Sud. Je suis à la recherche de météorites, ces roches extraterrestres qui nous sont très utiles pour en savoir plus sur les origines du système solaire. Après avoir traversé notre atmosphère, où la fusion affecte leur couche externe, elles tombent un peu partout sur la Terre mais elles sont plus faciles à débusquer dans les déserts où par définition les pluies sont rares. L’an dernier j’en ai trouvé dans le désert d’Atacama au Chili.

Sur la glace de la calotte antarctique mon œil est attiré par leur couleur noire caractéristique.

-Tiens cette météorite est très belle. Elle est bien polie.

Je m’arrête à proximité.

-Il faudra que je l’analyse pour savoir de quel astéroïde elle vient.

Aujourd’hui la pêche a été bonne : j’ai trouvé une bonne dizaine de météorites qui alimenteront la collection internationale localisée à Venise, en Italie.

Je décide d’une halte. Je coupe le contact. Il n’y a pas de vent, ce qui rend la température extérieure (-25°C) tout à fait supportable. D’une main j’écarte les stalagmites et les stalactites de glace qui se sont formés sur ma barbe et la capuche de ma parka. Je me restaure d’un excellent hamburger riche en fromage et d’une tasse de thé qui est resté chaud dans une bouteille thermo. Tout en faisant le tour d’un horizon désert de toute vie humaine ou animale je pense à ma femme et à ma petite fille qui doivent être bien au chaud. Elles sont si loin, de l’autre côté de la Terre, sur le bord de l’océan Atlantique Nord. A cette heure il fait nuit pour elles. Pour moi en cet été austral le soleil est haut dans le ciel et le jour est sans fin.

Je remets le contact. Rien ne répond. J’essaye une nouvelle fois. Echec. Après plusieurs essais successifs je dois me rendre à l’évidence. La batterie doit être épuisée. Me voici bloqué, seul, sur le plateau antarctique.

La procédure de secours est très claire : par téléphone satellite je dois immédiatement appeler Amundsen-Scott.

-Mayday ! Mayday ! Mayday ! personne ne répond.

Après un moment de panique je reprends mon calme. Je déclenche ma balise de détresse. Je suis à environ 250 miles du pôle Sud et l’hélicoptère de l’équipe de secours ne devrait pas être bien long à venir me chercher. Je sors de mon volumineux porte-bagage une tente igloo à isolation multiple. Elle se déploie aisément et je l’ancre bien dans la glace. J’étends un sac de couchage sur un tapis de sol renforcé et je m’y calfeutre. Epuisé par une journée riche en émotions, je plonge dans les bras de Morphée. Je m’endors sur un sommier mouvant de 3000 mètres de glace solide qui se fracture en glissant lentement vers l’océan lointain. Aussi, mon sommeil est-il émaillé de bruits bizarres : Chtoing, Chpoing…

II-Le petit prince

-Toc, toc !

J’entends une petite voix à l’extérieur.

-Puis-je entrer ?

-Oui, bien sûr ! Ouvre la fermeture éclair et referme la bien car il fait froid.

Je n’en crois pas mes yeux. Vient d’entrer dans la tente un jeune garçon emmitouflé dans une parka orange. D’une capuche de fourrure il fait jaillir une abondante chevelure blonde. Impossible de ne pas penser au Petit Prince. Il s’installe confortablement dans l’espace libre de l’igloo.

-Comment t’appelles-tu ? Que fais-tu ici ?

Il me répond simplement :

-Je cherche des amis.

-Des amis ? Et pourquoi ici ?

-A cause du Traité de l’Antarctique.

-Ah bon ? et qu’en sais-tu ?

-Le continent antarctique appartient à tous les hommes. Il n’y a pas de bases militaires et donc il n’y a pas de guerres. Donc, tous les hommes et les femmes qui y vivent sont des amis.

Je me redresse et lui demande :

-Mais comment sais-tu cela ?

-Je vois tout de l’astéroïde B612.

-Où est-il situé ?

-Entre Mars et Jupiter. Juste à côté de l’astéroïde 3251. D’ailleurs tu viens d’en ramasser un fragment.

-N’as-tu pas d’amis sur ton astéroïde ?

-Non, je vis seul. Ce que je vois c’est que sur la planète Terre tous les hommes se haïssent. On dirait qu’ils n’ont pas lu Antoine de Saint-Exupéry

-Qu’a-t-il donc écrit ?

- « Pourquoi nous haïr ? Nous sommes solidaires, emportés par la même planète, équipage d’un même navire.” C’est dans « Terre des Hommes ». Je l’ai lu.

Je suis stupéfait. Comment un petit bout homme, sur son astéroïde B612, peut-il savoir tout cela. Il parait si jeune mais déjà si mature…

III-Au fil du temps

Interrompant le silence qui s’est installé dans l’igloo, cette fois c’est lui qui pose des questions :

-Connais-tu mon histoire ?

Comme je ne peux pas douter qu’il s’agisse du Petit Prince, je lui réponds :

-Je te croyais mort. N’as-tu pas été mordu par un serpent ?

Il fait silence. Après quelque temps il dit simplement mais gravement:

-Tu sais, quand on a des amis on ne peut pas mourir. Ton souvenir en eux est éternel.

 

Mais il poursuit :

-Pourquoi les hommes se haïssent-ils ?

-Qu’en sais-tu ?

Il se lance dans une longue tirade :

-J’ai suivi Homo sapiens depuis qu’il a éliminé Homo erectus. Les « grandes découvertes » sont d’affreuses histoires où les Espagnols et les Portugais éliminent les peuples autochtones. Comment avez-vous pu maintenir l’esclavage pendant des siècles ? Je ne te parle pas des guerres mondiales et de ces millions de morts. Vous avez inventé d’incomparables machines à tuer. Aujourd’hui vous menacez la vie sur Terre et vous n’avez pas de planète B.

J’en reçois plein la figure et je ne sais que lui dire. Au bout d’un long temps je tente timidement :

-Mais tout n’a pas été négatif dans l’Histoire des hommes.

Il me répond :

-Je sais. Vous êtes capables de grandes choses. La science vous permet de mieux comprendre le monde sur terre et sur mer, et bientôt vous aller découvrir l’espace au-delà du système solaire. C’est extraordinaire !

Il ajoute :

-Mais, pour cela il faut des amis. Es-tu mon ami ?

Je n’en peux plus. Je me redresse et je le serre dans mes bras.

IV-Epilogue

Un puissant bruit d’hélice me sort brutalement d’un sommeil profond. Le déplacement de l’air secoue la tente.

Je rajuste mes vêtements et je sors précipitamment.

L’hélicoptère rouge vif de l’équipe de secours vient de se poser près du Ski-Doo. Bob en descend et me salue d’un large signe de la main :

-Hey, Paul, what are you doing here? A breakdown at the South Pole!

-Eh, Paul, que nous fais-tu là ? Une panne au pôle sud !

Je démonte mon igloo et je range mes affaires dans le porte-bagage du Ski-Doo pour préparer son hélitreuillage.

Par hasard mes mains gantées passent sur le contact et le moteur électrique du Ski-Doo redémarre.

Bob m’aide à vérifier la charge. Elle est à 80%. Je peux donc revenir à Amundsen-Scott en Ski-Doo sans problème.

Mais comment expliquer la panne ? Je ne sais. Mais une idée me trotte dans la tête.

Et si en collectant une météorite provenant de l’astéroïde B612 j’avais déclenché un orage magnétique qui aurait provoqué la panne ?

Difficile à croire. Peut-être le Petit Prince a –t-il des pouvoirs magiques pour se faire des amis ?

C’est cette version qui est restée dans ma mémoire. Elle y repose comme une pierre précieuse.

Ce que nous apprend le Traité de l’Antarctique, c’est que, quand ils le veulent vraiment, les hommes peuvent vivre en paix entre eux et avec la nature.

L’espoir est là. Pour tous.

Croquis du Petit Prince :

Françoise Le Bris

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Crédit Institut Polaire Français Paul-Emile Victor

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