Le Latham 47
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L'île aux Ours
18 Juin 1928
Voici deux jours que René Guillaud a quitté Caudebec-en-Caux. Depuis, avec son équipage, il n'a pas chômé. Le temps de prendre au passage à Bergen Leif Dietrichson, pilote, et Roald Amundsen, le fameux explorateur des pôles, avec Albert Cavelier de Cuverville, co-pilote, Emile Valette, radio, et Gilbert Brazy, mécanicien, ils ont volé vers le grand Nord. Le Latham 47 amerrit dans le fjord de Tromsö à 6 heures du matin.
Dix-neuf heures. Voici trois heures que l'hydravion a décollé sous un ciel dégagé. Il survole la mer de Barentsz en direction du Svalbard. Il est encore loin du but, à la recherche des débris de l'expédition de Nobile et de son dirigeable Italia. Nobile a lancé un appel au secours, après s'être crashé dans l'océan Arctique le 25 mai, quelque part au nord de l'archipel du Svalbard.
Les deux moteurs Farman du Latham tournent comme des horloges. Un bruit sourd mais rassurant. Les hommes sont confiants dans la réussite de leur mission. L'hydravion bénéficie d'une large autonomie de vol après avoir emmagasiné de grandes quantités de carburant en Norvège. Valette, qui reçoit Tromsö 5 sur 5, donne régulièrement des nouvelles. Seul souci jusqu'à présent: l'altimètre. Il ne répond plus. Les co-pilotes Cavelier et Dietrichson le titillent avec insistance, sans succès jusqu'à présent. A travers les vitres du cockpit Guillaud essaie désespérément de trouver quelque repère. Pas simple dans les épais bancs de brume dans lesquels l'aéronef navigue depuis une heure.
Le pilote est inquiet, car il a l'intuition que l'appareil vole trop bas. Sur un siège arrière, de son œil de faucon, Roald Amundsen scrute l'atmosphère.
Il crie soudain:
-Take care!
Il ajoute pour lui-même: the Bear island (l'île aux Ours) !
Guillaud les a vu en même temps: entre deux nappes de brume de hautes falaises se dressent, verticales, devant l'hydravion. Il vole trop bas pour pouvoir les surmonter. Le pilote coupe les moteurs et braque à droite toute, pour amorcer un vol plané en perdant de l'altitude puis amerrir. Le bord gauche extrême de l'aile supérieure du biplan heurte violemment un surplomb d'une falaise. Le Latham est secoué mais poursuit sur son erre. La mer est maintenant très proche. Guillaud se dit qu'il va réussir... Non! L'appareil heurte de plein fouet une houle très formée. Déséquilibré, il pique rapidement vers le fond de l'océan.
Panique à bord. Guillaud et Cuvillier essayent désespérément d'ouvrir le cockpit, Brazy se précipite vers la porte du fuselage. Mais l'appareil déformé par le choc est maintenant soumis à la pression. Rien ne s'ouvre. L'équipage est enfermé dans un cercueil qui progressivement se remplit d'eau.
Roald Amundsen a compris. Parfaitement calme, il s'est relevé sur le siège arrière. Pendant que l'eau glacée fige la peau tannée de son rude visage, en quelques secondes sa vie défile. Franchissement du passage du nord-ouest à bord du Gjøa, conquête du pôle Sud, survol du pôle Nord à l'aide du Norge... Il sait qu'il laissera sa marque dans l'Histoire. Mais là n'est pas son ultime fierté. Elle tient au franchissement, seul, en plein hiver, des montagnes du Télémark. C'était sa victoire sur lui-même. Il n'avait pas vingt ans...
Epilogue: Le lieu du naufrage du Latham ne sera jamais localisé. Seul un flotteur et un réservoir de l'hydravion ainsi qu'un radeau de fortune, transportés par les courants jusqu'à la côte de Norvège, seront retrouvés.
Six nouveaux hommes sont entrés, pour l'éternité, dans le royaume de Neptune...
Référence :
Mabire J., 1998. op.cit.