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ALGÉRIE

M'ZAB

 

Ils entrèrent ; il leur rendit leur salut

et plaça devant eux quelques morceaux de pain

sur lesquels il versa du beurre contenu dans une petite outre.

Claude PAVARD, Lumières du M’Zab

Algerie1-Copyright_P.TREGUER.jpg

Sous le ciel d’automne, les ombres se sont allongées démesurément sur les dunes du grand erg occidental. Ici, naviguer dans l’obscurité est magique mais aussi peu rassurant…

7 novembre 1980. L’automobile a quitté Alger très tôt ce matin. Un long voyage marqué, une fois passée Blida, par la traversée des gorges de la Chiffa saluée par les vocalises ironiques de nombreux macaques, et plus au sud par la rencontre de nombreux troupeaux de dromadaires, de moutons blancs et noirs, et de chèvres qui s’accrochent à quelques arbustes rabougris. Sur le chemin du sud, mes amis algériens rêvent à l’édification d’un « barrage vert » de conifères, décidé par le président Houari Boumediene, pour lutter contre la désertification des hauts plateaux de l’Atlas tellien.

Au cœur des monts des Ouled Naïl nous prenons le temps d’une brève étape pour, au pied de hautes falaises de couleur ocre, admirer les figurations rupestres au sud de Djelfa1, où des buffles antiques portent des attributs céphaliques et les ovins sont dotés de sphéroïdes ou de cornages fermés en anneau. La longue route se poursuit ; avec le déclin du soleil, un brin d’inquiétude s’est installé au sein des passagers de la 403 Peugeot. Parviendrons-nous aujourd’hui à Ghardaïa?

Les phares illuminent bientôt les troncs massifs d’une palmeraie. Nous y sommes presque. Grâce à mes amis algériens je dormirai cette nuit dans le M’Zab, la porte du plus vaste désert d’Afrique. C’est la réalisation d’un rêve qui date de mes dix-sept ans, de la lecture de l’ouvrage « Le Sahara », de René Pottier.

A potron-minet, pour bénéficier de la fraîcheur de l’atmosphère, je m’échappe du havre de paix qui m’a accueilli cette nuit, pour explorer avec délices le jardin à étages, à l’abri de bosquets riches de grappes de raisin et d’orangers… Une marche de quelques centaines de mètres et je grimpe bientôt sur les remparts de Mélika d’où je peux prendre quelque recul pour découvrir Ghardaïa. La forteresse a fait éclater sa ceinture murale. La ville descend, par degrés, de la haute colline dominée par la tour minaret de la mosquée, jusqu’à la palmeraie de l’oued, source d’eau et donc de vie. Dans l’oasis une antique noria est en mouvement, actionnée par deux ânes. Mon hôte m’a expliqué la règle : chaque habitant reçoit son quota d’eau au prorata du nombre de ses palmiers.

Sous un soleil déjà vif je déambule entre les bâtiments en habits d’argile. Je me confonds en admiration devant l’ingéniosité des architectes qui ont su répartir équitablement l’ombre, l’une des choses immatérielles les plus précieuses dans cet univers qui subit la cruelle morsure de notre étoile favorite. Sur la place du marché noyée de lumière, puis à l’abri des arcades j’erre parmi les mozabites (des « Kharedjites », des hérétiques de l’Islam pour les autres musulmans, dont les codes ont, dit-on, été rapportés de Perse). Je me glisse entre les dromadaires des nomades qui apportent avec eux leurs rites arabes. Les artisans juifs du ghetto sont armuriers ou joailliers. René Pottier a écrit que le M’Zab, petit état théocratique, est « la patrie des magiciens » car plusieurs civilisations y cohabitent, sans mélange mais en bonne intelligence, sous l’effet de « philtres secrets » … Je me dis que nous aurions besoin d’un peu de cette potion magique dans le monde d’aujourd’hui, de plus en plus intolérant…

Sur la route du retour, dans le sud algérien, avant d’atteindre la chaîne des Ouled Naïl, notre véhicule se trouve soudain pris dans une tempête de sable rouge. En plein jour la visibilité devient rapidement voisine de zéro. Omar, conducteur de la Peugeot, n’a d’autre choix que de quitter le ruban goudronné, pour se garer sur le bas-côté, quitte à risquer l’enlisement.

-Là-bas !

Mes amis ont repéré des murs de pierre sèche, en ruine, à quelques dizaines de mètres. Arc-boutés, la tête enfouie, qui dans son foulard, qui dans sa chéchia, nous parvenons à cet abri inespéré, soulagés de pouvoir respirer librement, sans avoir à ingérer ces fines particules d’argile et de quartz qui s’insinuent jusque dans mes bronches et, impression désagréable, qui crissent sous mes dents. Alors que nous nous inquiétions de la suite des évènements, une femme, drapée dans une gandoura, surgit de nulle part. Elle porte précautionneusement des tasses de café brûlant et quelques dattes, rassemblées sur un plateau soigneusement protégé par un linge. Après s’être courbée pour nous saluer elle dépose son offrande. Puis elle s’éclipse aussi discrètement qu’elle est arrivée, non sans nous gratifier d’un sourire dont le souvenir rayonne pour toujours en chacun d’entre nous.

Elle, qui n’avait rien, nous a offert des denrées sans prix dans cet environnement hostile. D’où nous avait-elle vu venir?

1P. Huard et L. Allard. Les figurations rupestres de la région de Djelfa sud algérois. Centre de recherches anthropologiques, préhistoriques et ethnographiques. Lybica, 1976.

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