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Air du temps

REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE

1er juillet 2023

Espagne

Le pas de la Séguirilla

Elle a un cœur en argent

et un poignard dans la main

Où vas-tu, siguiriya,

de ce rythme décervelé?

 

Quelle lune soulagera

ta douleur de citron et de bouton de rose?

Terre de lumière

Ciel de terre.

traduit de Frederico GARCIA LORCA

(exécuté sommairement le 19 août 1936 par des milices franquistes).

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L’Espagne, entre océan Atlantique et mer Méditerranée : un pays au relief contrasté avec un haut-plateau central situé au centre de la péninsule Ibérique, la Meseta. Entourée de différentes chaînes de montagnes qui la séparent du reste de l'Espagne, elle détermine en bonne partie la morphologie du pays dont elle occupe près de la moitié de la superficie. Crédit Wikipedia

Un challenge : s’adapter rapidement aux impacts

du changement climatique

 

Andalousie. Sous mes yeux s’étendent d’impressionnantes étendues de cultures sous serre. Je regarde le film documentaire Un jour en Espagne de Timothée Janssen (1). Il démontre que l’Espagne est devenue le potager de l’Europe.

Dans le contexte géologique et climatique où se situe l’Espagne, ceci n’était pourtant pas évident. En effet, c’est un pays aux reliefs (Figure ci-dessus) et aux situations hydrologiques contrastés, arrosés côté atlantique, plus aride côté Méditerranée. Si à San Sebastian (Pays basque), il pleut deux fois plus qu’à Brest. En moyenne les précipitations annuelles sont en Espagne de 687 mm, soit une fois et demie moins qu’en France. Si le quart du territoire espagnol reçoit plus 800 mm d'eau, 15% reçoivent moins de 400 mm. Certains bassins hydrographiques sont excédentaires (Duero, Tage, Èbre), mais d’autres sont à faible excès (Júcar, Pyrénées-Orientales) ou franchement déficitaires (Segura). Pour satisfaire aux besoins en eau des cultures intensives, il a fallu mettre en œuvre une exploitation massive voire une surexploitation des ressources hydriques. Au 20ème siècle, les Espagnols n’ont pas hésité à construire des centaines de barrages, puis des infrastructures de transvasement de l’eau des fleuves, de l’eau du Tage vers le Segura, par exemple, du centre du pays vers la côte méditerranéenne. Plus de 1200 grandes retenues d’eau (super bassines) ont été construites. Elles ont, le cas échéant, favorisé l’assèchement d’immenses lagunes (ainsi la culture intensive de la fraise assoiffant la zone humide de Doñana (2) en Andalousie), et placé des nappes phréatiques en situation de stress hydrique (2). Plus de 360 usines de dessalement d’eau de mer ont dû être construites (dix fois plus qu’en Arabie Saoudite). La plus grande d’Europe se situe à l’embouchure du Llobregat, au sud de Barcelone. Elle fournit, depuis l’été 2009, une eau potable à plus de 4,5 millions d’habitants (2). À noter que ces usines sont très consommatrices en énergie et rejettent à la mer une salure, ce qui ne va pas sans perturber les écosystèmes marins attenants.

Le contexte du changement climatique en cours heurte de plein fouet les ambitions d’agriculture intensive de l’Espagne. Il se traduit en effet par une sécheresse et une canicule précoce cette année, perturbant une agriculture qui consomme 80% de la consommation d’eau douce. L’Espagne est désormais confrontée à des choix drastiques (2). Il ne suffira probablement pas d’accroître l’efficacité de l’irrigation, d’augmenter le recyclage des eaux usées, de combattre la création de puits illégaux. Il faut dès à présent envisager la diminution des surfaces irriguées et repenser le modèle agricole. Cela suppose la recherche d’un consensus entre acteurs économiques, collectivités territoriales et organismes d’État. Un vrai challenge, particulièrement en Espagne où l’imaginaire individuel est dominé par le sentiment de fierté et de domination (le symbole du « matador »). D’autant que son organisation territoriale, héritage de son Histoire, met volontiers en exergue les différences (les communautés autonomes versus Madrid) plutôt que les solidarités (voir ci-dessous).

Energie : objectif neutralité carbone en 2050 grâce aux énergies renouvelables

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Un parc éolien en Andalousie, dans le sud de l'Espagne. [David Tatin - AFP]

L’Espagne s’est engagée sans plus attendre dans la transition énergétique.

En effet, elle est pauvre en ressources énergétiques conventionnelles et a tout intérêt à atteindre la neutralité carbone dès 2050 (3). L'énergie primaire consommée (4) en 2019 était à 72% d'origine fossile (principalement pétrole et gaz naturel) qui est donc importée pour l’essentiel. Le nucléaire (cinq centrales) couvre seulement 12,5 % de l’énergie primaire. La contribution des énergies renouvelables est devenue dominante (55%, dont solaire et éolien : 24,0 %, biomasse : 24.7%, hydroélectricité : 6,2 %). Contrairement à l’Allemagne, l’immense majorité des 1 000 parcs éoliens et plus de 20 000 éoliennes ibériques se situe sur les terres. Les installations offshore espagnoles se retrouvent au large des îles Canaries et ne représentent que 10 MW de la production du pays.

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La centrale solaire PS10 au premier plan et la centrale solaire PS20 à l'arrière-plan. Centrale solaire en Espagne Crédit : Par afloresm — SOLUCAR PS10, CC BY 2.0,

https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=2821733

Spectaculaire est l’effort réalisé en matière d’énergie solaire (5), très consommatrice de surfaces au sol, éventuellement en conflit avec l’usage agricole, quand il ne lui est pas intelligemment couplé. Le potentiel d’énergie solaire en Espagne est le plus élevé d’Europe, avec un rayonnement situé entre 1600 kW/m2 et 1950 kW/m2 dans la majeure partie du pays (voir Air du temps du 1er avril 2023).

S’agissant de l’utilisation de l’énergie solaire pour le secteur tertiaire à grande échelle, spectaculaire est la réalisation de la centrale solaire PS10 (en espagnol : Planta Solar 10), constituée de 624 grands miroirs mobiles appelés héliostats, première centrale solaire thermique commerciale en Europe. Elle est située près de Séville, en Andalousie. Sa tour solaire a une puissance électrique nominale de 11 MW (mégawatts). Il a fallu quatre ans pour la construire et elle a coûté 35 M€. La tour solaire PS10 stocke la chaleur dans des réservoirs d'eau surchauffée, sous une pression de 50 bars et à une température de 285 °C. L'eau s'évapore quand la pression baisse. La capacité de stockage est d'une heure. La centrale solaire PS20 constitue une amélioration très nette de PS10.

Une extension de ce programme, issu de la coopération entre le CIEMAT, l'IDEA, et l'université de Séville est en cours. La totalité des centrales doit être achevée en 2013 ; elles produiront environ 300 MW d'énergie pour environ 180 000 foyers, soit l'équivalent des besoins de la ville de Séville.  Beaucoup de facteurs militent pour l'utilisation de sels fondus comme moyen de stockage d'énergie, car ils permettent une grande capacité de stockage d'énergie pendant de longues périodes avec des pertes insignifiantes (voir Air du temps du 1er avril 2023).

Génération Guernica

 

« Tous les grains pourrissent d'abord, mais il y a ceux qui germent...

Un monde sans espoir est irrespirable. »

André MALRAUX, L’Espoir

« Brigades internationales ». Un terme revenu à l’honneur depuis l’agression de l’Ukraine par la Russie. Il résonne particulièrement chez les gens de ma génération, celle de Guernica (Pays basque) où les Stukas des nazis de Hitler, soutenus par l’Italie fasciste, bombardent une place de village un jour de marché pour créer la peur. Plus de 1700 victimes, devenues immortelles par l’immense fresque de Picasso. Les Espagnols de Guernica étaient coupables d’avoir adhéré au régime républicain démocratiquement élu en 1936 et de ne pas vouloir se soumettre à la volonté dictatoriale d’un général félon. Pour cela, ils méritaient la mort. Hélas, l’Histoire se répète : à coups de missiles russes délibérément dirigés vers des immeubles d’habitation de villes d’Ukraine. Poutine, ce nouvel Hitler, applique la même politique de terreur.

Pour se défendre, la République espagnole a créé des brigades internationales dans lesquelles se sont investis des hommes généreux.  En juin 1937, on compte environ 59 000 volontaires brigadistes en Espagne, venant de 53 pays, regroupés le plus souvent par nationalités. Les plus gros effectifs des sept brigades sont alimentés par les Français (9000), les Autrichiens (5000), les Allemands (5000), les Italiens (3300), les Polonais (3000), les Nord-Américains (2800), les Britanniques (2000), les Soviétiques (2000), et les Yougoslaves (1600). Ces brigades combattirent pour défendre Madrid (novembre 1936), à la bataille de Guadalajara (mars 1937), de Belchite (fin août/début septembre 1937), puis à celle de Teruel (décembre 1937/février 1938), et au début de la bataille de l'Èbre (juillet/novembre 1938).

La guerre d’Espagne (1936-1939) fut couverte par de nombreux journalistes et écrivains. Parmi ceux-ci, Ernest Hemingway (1899-1961), qui part en 1937 dans la péninsule Ibérique pour la presse américaine. L’auteur de L'Adieu aux armes et de Le Soleil se lève aussi, publiera en 1940 Pour qui sonne le glas (titre original : For Whom the Bell Tolls). Ce roman d'Ernest Hemingway, publié en 1940, est fortement inspiré de son vécu de journaliste pendant la guerre civile espagnole, dont il fait revivre l'ambiance. Son adaptation au cinéma, réalisée par Sam Wood en 1943, connut un grand succès, avec les inoubliables interprétations d’Ingrid Bergman et de Gary Cooper.

Militant antifasciste, le pilote André Malraux combat en 1936-1937 aux côtés des républicains espagnols. Comme Ernest Hemingway, il a la mi - trentaine lorsque la guerre éclate, à l’été 1936. Son roman L'Espoir, sera publié en décembre 1937. Il en tourne une adaptation filmée Espoir, sierra de Teruel, en 1938. Il y relate les évènements importants du début de la guerre d'Espagne, du putsch militaire franquiste du 18 juillet 1936 à la bataille de Guadalajara en mars 1937, où les républicains furent victorieux. Toute l'intrigue de L'Espoir est focalisée dans le camp républicain. Elle illustre la manière dont celui-ci s'organise et se construit, à partir des différentes tendances de gauche dans le pays (communistes, anarchistes, socialistes...), et des soutiens extérieurs dont ils bénéficient (les brigades internationales, le soutien tactique soviétique).

En 1936 et 1937, Antoine de Saint-Exupéry couvre la guerre d'Espagne. Il en ramène une série de reportages, dénués de passion partisane, dans lesquels il décrit avec force toute l'horreur des combats. À noter que l'écrivain ne prend parti ni pour le camp nationaliste ni pour le camp républicain, se contentant de faire ressentir l'horreur et l'absurdité de la guerre.

Une difficile unité nationale.

 

Les gens de ma génération se souviennent de l’ETA, mouvement séparatiste basque, au départ en lutte contre le régime dictatorial de Franco, puis contre le régime démocratique mis en place à la mort de celui-ci.

L'Espagne est une monarchie parlementaire pluripartiste où le roi est en principe le chef de l'État. Le président du gouvernement est proposé par le parti majoritaire au congrès des députés. Les vice-présidents et ministres sont nommés par le monarque, sur proposition du président du gouvernement. Le pouvoir exécutif est exercé par le gouvernement tandis que le pouvoir législatif est dévolu au parlement. Le pouvoir judiciaire est indépendant des deux premiers.

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Carte des provinces d'Espagne, avec une subdivision territoriale en communautés autonomes et en provinces, situant les différentes capitales provinciales CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=684223

Depuis 1978, l'Espagne est considérée aux yeux de la communauté internationale comme un État ni unitaire ni fédéral, ce qui en fait une spécificité européenne. D'un point de vue formel, le régime espagnol est souvent rapproché de la République italienne, sur laquelle je viendrai dans un prochain Air du Temps, tous deux étant des États méditerranéens. À noter qu’elle comprend 17 communautés autonomes (dont l’Andalousie et la Catalogne, la Galice, le Pays basque …) qui disposent de pouvoirs étendus par rapport aux provinces, en matière d’institutions (elles disposent d’un gouvernement), de tutelle sur les collectivités locales de niveau inférieur, et de réglementation du foncier, de l'urbanisme et du logement.

Après le mouvement basque des années de la fin du vingtième siècle, la volonté d’indépendance de la riche Catalogne défraye la chronique depuis 2013.

 

Dans le contexte du changement climatique global qui fait apparaître de façon encore plus criante que d’habitude la nécessité d’une solidarité des différentes régions de l’Espagne sur le plan hydrique et énergétique, ce type de volonté politique paraît décidément anachronique.

Références

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