Air du temps
REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE
1er janvier 2024
Kenya
Figure 1 : Le Kenya, entre les lacs Victoria, Turkama, et l’océan Indien (source: inconnue), une zone à la géologie dynamique, mue par les déplacements des plaques africaine et somalienne (source : inconnue).
Résumé :
Avec pour objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050, deux cent états se sont donc mis d’accord à la COP 28 pour s’engager dans une transition énergétique hors des énergies fossiles. C’est un bon point de départ. Mais il nécessite d’être complété par une accélération rapide de la décroissance de l’usage des énergies fossiles au cours de cette décennie. L’appel de la COP 28 est clairement en deçà de celui espéré par les nations du Sud et les états insulaires, particulièrement impactés par le changement climatique. Cet Air du temps montre comment le Kenya, l’une des nations clefs des pays du Sud, en exploitant son potentiel géothermique et se positionnant sur le plan international, aborde de façon dynamique la transition énergétique et les enjeux environnementaux,
En novembre 2023, les pays de la Corne de l’Afrique ont été durement touchés par des inondations catastrophiques. Le fleuve Tana, qui s’étend sur 708 kilomètres dans le nord du Kenya, est sorti de son lit, poussant des centaines de milliers d’agriculteurs et d’éleveurs hors des champs. Cette catastrophe, résulte de la conjonction de deux événements : le phénomène météorologique El Niño et le dipôle de l’océan Indien, une anomalie climatique similaire.
Le Kenya. Un nom cher à nos mémoires. Souvent associé aux noms de Karen Blixen, de Meryl Streep, et de Robert Redford, les merveilleux acteurs du film Out of Africa. Fermons les yeux. Nos âmes s’élèvent avec l’envolée des violons de l’onde orchestrale de Jon Barry. Nous voici immergés dans une nature grandiose, évoluant au côté des Masais et d’une faune de grands mammifères. Au cœur de larges espaces de savanes, de régions lacustres, mais aussi de la vallée du grand rift. Elle suit la faille tectonique qui traverse la région de Djibouti jusqu’au Mozambique (Figure 1), dominée par les volcans dont le mont Kenya, et dans le sud, par le Kilimandjaro, à presque 5600 mètres d'altitude, juste au-delà de la frontière avec la Tanzanie. Une zone climatique où la ceinture de basse pressions autour de l'équateur, la zone de la convergence intertropicale (ZCIT), est responsable de l'alternance des saisons sèches et humides.
Une nation quasi autonome en électricité grâce aux énergies renouvelables
Le Kenya occupe 582 646 km², une surface tout à fait comparable à celle de la France. Septième pays en importance en Afrique par sa population (54 millions d’habitants), il accueille 4 fois moins d’habitants que le Nigéria (le plus peuplé des pays africains). Si la population du Kenya est d’environ 20% inférieure à la population française, sa consommation totale en énergie est plus de cinq fois inférieure à celle de la France. Les énergies les plus utilisées sont la biomasse traditionnelle (64 % de la consommation primaire d'énergie), le pétrole (18 %) et la géothermie (16 %).
Figure 2 : Au Kenya, la centrale géothermique d’Olkaria II, construite près de Naivasha, en 2018
(Crédit : Tony Karumba/AFP). Techniciens à l’usine géothermique d’Olkaria II (crédit : Wikipedia).
Le Kenya ne disposait d’aucune ressource fossile jusqu’à la découverte d’un gisement de pétrole dans le nord du pays en 2012. Il importe la quasi-totalité de ses besoins en combustibles fossiles (pétrole et charbon) pour répondre à la demande des transports et pour la production d’électricité par ses centrales thermiques (onze centrales d’une puissance totale de 751 MW). Un projet de centrale à charbon de 1050 MW fait l’objet d’une bataille juridique menée par les défenseurs de l’environnement. Sa construction n’est toujours pas validée.
À noter qu’un projet de centrale nucléaire de 1 000 MW est en gestation, en coopération avec la Chine. Mais le ministre de l'énergie considère que le Kenya ne devrait se tourner vers l'électricité nucléaire qu'après avoir complètement exploité les autres sources d'énergie.
William Ruto, président du Kenya élu en 2022, se fait régulièrement le porte-parole de l’Afrique sur les enjeux liés au dérèglement climatique. En septembre 2023, il a accueilli le Sommet africain sur le climat convoqué sous l’égide de l’Union africaine.
Au Kenya, les énergies renouvelables ont pris leur essor de longue date. Les centrales hydroélectriques (puissance nominale 837 MW) se développent depuis 1968 et sont en majeure partie installées sur le fleuve Tana. Dans un ensemble géologique constitué d’une série de failles et de volcans qui s’étend de la Somalie au Mozambique (Figure 1), la production d’énergie par géothermie est un point fort du Kenya. Avec l’éolien, le solaire et l'hydraulique, ce pays d’Afrique de l’Est peut désormais se prévaloir d’un mix énergétique électrique à presque 90 % vert. Le Kenya, ancienne colonie britannique, devenu indépendant en 1970, a commencé à exploiter son potentiel géothermique estimé à 10 000 MW, avec l’aide du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et de la Banque mondiale. Nicholas Marita, géologue à l’Université technologique Dedan Kimathi (campus à Nyeri et Nairobi) déclare « Nous avons lancé la première centrale en 1981 et, depuis, la géothermie n’a jamais cessé de croître, elle a dépassé l’énergie hydraulique pour réduire les risques de vulnérabilité face aux sécheresses ». Près de la moitié de l’électricité de ce pays est actuellement produite par cinq centrales géothermiques, nichées au sein de la vallée du Rift, à Olkaria, à une centaine de kilomètres au nord de la capitale, Nairobi, dans le parc Hell’s Gate, une réserve naturelle connue pour avoir inspiré le décor du Roi Lion, un classique des studios Disney. La puissance totale nominale de la géothermie est de 900 MW, comparable à l’Italie (voir Air du temps du 1er septembre 2023). C’est sans équivalent en Afrique.
Un modèle énergétique pour ses voisins mais un challenge financier
Le coût d'un forage d’un puits géothermique s’élève à 6 millions de dollars et la construction d’une centrale coûte 300 millions de dollars (2). Développer le programme géothermique va donc coûter cher. Le Kenya, surendetté (dette publique : 67,9 % du PIB en 2022, n’a pas les moyens de réaliser un tel programme. Il recherche donc des aides extérieures. Un co-financement d’un montant de 4,1 milliards de dollars a été promise 2022 au Kenya par le Royaume-Uni, lors de la COP 27, pour la réalisation de projets solaires, agricoles, hydrauliques et géothermiques (2).
La voie ouverte par le Kenya dans le domaine des énergies non carbonées inspire les pays voisins, également traversés par le Rift. Si, depuis une décennie, l’Ethiopie a concentré ses efforts sur l’hydraulique en construisant le grand barrage de la Renaissance sur le Nil, le plus grand d’Afrique, elle s’intéresse désormais au développement de la géothermie. Elle posséderait en effet un potentiel comparable à celui du Kenya. Jusqu’à présent l’unique centrale géothermique éthiopienne ne produit que 7 MW.
Le Kenya, fort de plus de quarante années d’expertise, exporte son savoir. Il forme des ingénieurs de la Corne de l’Afrique et procède à des travaux d’exploration en Ethiopie, en Tanzanie et en Somalie (Djibouti). Il envisage d’élargir sa coopération à d’autres zones du continent. Une étude menée par des chercheurs égyptiens en mai 2022 a identifié quatorze pays africains à haut potentiel géothermique dans la vallée du Rift mais aussi plus au sud, notamment en Namibie, au Rwanda et au Malawi (2).
A maints égards le Kenya est un exemple pour les pays du Sud. La COP 28, qui vient de se tenir à Dubaï, appelle toutes nations à s’engager dans une transition énergétique avec abandon progressif des énergies fossiles. Il a décidé d’ouvrir un fonds de compensation des pertes et dommages climatiques dans les pays vulnérables et en particulier les pays du Sud. Les premières promesses de financement – autour de 367 millions d’euros – restent toutefois symboliques face aux besoins, chiffrés en centaines de milliards de dollars.
A quand une COP Climat au Kenya plutôt que dans les pays de l’OPEP ?