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Air du temps

REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE

1er décembre 2023

Polar Summit

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Figure 1 : Iceberg vêlé par un glacier Antarctique. La fusion des glaciers de l’Antarctique de l’ouest est en cours (crédit Paul Tréguer).

Résumé :  

Un « Polar summit » s’est tenu à Paris les 9 et 10 novembre 2023 attirant l’attention mondiale sur l’évolution inquiétante des zones polaires et des glaciers terrestres, avec notamment la désintégration de la calotte glaciaire du nord Groenland, et la fusion en cours de la calotte glaciaire de l’Antarctique de l’ouest. Arctique et Antarctique paraissent bien loin de nous. Pourtant ce qui s’y passe influence directement notre vie quotidienne, car ces phénomènes vont contribuer à une montée plus rapide que prévu du niveau de la mer partout dans le monde, y compris en Europe.

Conclusion : il faut d’urgence stopper le financement de l’exploitation de nouvelles ressources d’énergie fossiles et s’engager dans une transition énergétique et écologique rapide.

Du 8 au 10 novembre 2023, s’est tenu à Paris, le « One Planet – Polar Summit ».

Au Museum National d’Histoire Naturelle, il a réuni les experts mondiaux de la cryosphère (glaciers terrestres et calottes polaires), les représentants d’institutions scientifiques polaires de France et de l’étranger, de la Commission Européenne, de nombreux états (Chine, Inde, USA…), ainsi que des populations directement affectées par la fusion des glaciers terrestres (Inuits, peuples du Népal, de l’Himalaya, …), et diverses organisations non gouvernementales.

Ce sommet était marqué par les retrouvailles de toutes celles et de tous ceux qui, comme moi, ont participé à de nombreuses missions en Antarctique (Figure 1). Quand nous retrouvons, nos yeux s’allument de plaisir. Le plaisir de celles et ceux qui ont vécu de rudes épreuves, mais dont l’âme s’élève dans la contemplation d’une nature unique même si elle est parfois fort tempêtueuse rude. Ce sommet « polaire », très riche scientifiquement et culturellement, était remarquablement animé par Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur des pôles et des activités maritimes, et par Jérôme Chappellaz (ex-directeur de l’Institut Polaire Français Paul-Emile Victor, Brest, France) et Antje Boetius (directrice de l’Alfred Wegener Institut de Bremerhaven, Allemagne).

Ce qui se passe en Arctique et en Antarctique nous concerne directement :

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Figure 2 : Les glaciers du nord du Groenland ainsi que ceux débouchant sur la mer d’Amundsen (Antarctique) sont déstabilisés rendant probable une élévation plus rapide que prévue du niveau de la mer partout dans le monde.

Le « Polar summit » s’est ouvert alors que  deux nouvelles scientifiques particulièrement inquiétantes venaient de tomber: celle de la fusion de la calotte glaciaire du nord du Groenland [1] et de la déstabilisation inéluctable de glaciers de l’Antarctique de l’ouest [2]. S’agissant des glaciers du nord Groenland, longtemps considérés comme stables par rapport à ceux du sud (Figure 2), depuis 1978, ils ont en fait perdu plus de 35% de leur volume total et 3 d’entre eux se sont totalement désintégrés. Leur fusion totale provoquerait une élévation du niveau de la mer de plus de 2 mètres (1). Quant à l’Antarctique de l’ouest (Figure 2), les glaciers qui se jettent dans la mer d’Amundsen voient leur vitesse de fonte s’accélérer, en raison de l'érosion de leur base par un océan Antarctique qui se réchauffe.  Au 21ème siècle la fonte des glaciers de l’Antarctique de l’ouest est 3 fois plus rapide que par le passé. Le risque est devenu grand de voir se désintégrer l’ensemble de la calotte glaciaire de l’Antarctique de l’Ouest avec un impact considérable sur la montée du niveau de la mer. A noter par ailleurs que le réchauffement des eaux de mer antarctiques a provoqué [3] une réduction spectaculaire de la banquise antarctique.

 

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Figure 3 :

Montée du niveau de la mer selon les différents scénarios du GIEC. Le scénario vert (SSP1-1.9) est déjà dépassé. Il n’est désormais plus impossible qu’à la fin de ce siècle le niveau de la mer monte bien au-delà de 1 m par rapport au niveau actuel [1].

D’ici la fin du siècle, étant donné l’inertie de la réaction thermique de l’océan, les experts s’accordent à dire que le scénario le plus pessimiste du GIEC, qui prévoit une augmentation de 1,33 à 1,88 m du niveau de l’eau de mer moyen à la fin de ce siècle, risque d’être atteint. Il n’est plus exclu que ce niveau puisse s’élever de 2 m en 2100 et de 5 m en 2150.

Les impacts d’une telle évolution du niveau de la mer sur les rivages européens seraient considérables, affectant non seulement les Pays-Bas, la Belgique et l’Angleterre du Sud-est, mais aussi plusieurs littoraux français et bien sûr les zones portuaires. Déjà, par un coefficient de marée 103, avec un vent d’ouest qui repousse les eaux de la mer d’Iroise en rade de Brest, le port de Brest commence à être submergé (Figure 4).

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Figure 4 : Le port de Brest envahi par la mer le 28 octobre 2023, coefficient de marée 103, vent d’ouest (crédit, Paul Tréguer)

La fusion des glaciers terrestres menace directement les populations de l’Himalaya ou de l’Amérique du Sud, non seulement en raison des décharges brutales de lacs glaciaires, mais bien évidemment pour l’alimentation en eau douce des populations nombreuses en aval, sans compter l’impact sur la production d’énergie par les barrages hydroélectriques. D’ici à 2100 les deux tiers des glaciers auront disparu.

Un consensus international, mais…

Il y a désormais un consensus international de l’ensemble des participants au  Polar summit de 2023 et des gouvernements des principaux pays pollueurs (États-Unis, Chine, Europe, Inde …) quant aux impacts du changement climatique sur la cryosphère, et de l’urgence à atteindre la neutralité carbone le plus rapidement possible pour limiter les dégâts. Le prochain sommet se réunira l’an prochain en Norvège sous l’égide du consortium « Arctic Circle ».

 S'agissant des décisions à prendre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, tout irait-il bien dans ce monde décidément plus fractionné que jamais? Hélas, non. Le majeur problème est l’absence des acteurs économiques dans ce sommet international. Si l’on se souvient de la réponse de Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, à Jean Jouzel, lors de la conférence du Medef (cf. Air du Temps du 1er novembre 2023), on voit que si l’on ne confronte pas les acteurs économiques majeurs aux conséquences de leurs décisions, on tape à côté de la plaque même si les décideurs politiques sont de notre côté. Les décisions de la COP 28 qui vient de s'ouvrir à Dubaï sont décidément très attendues...

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Figure 5. La plate-forme scientifique Polar Pod dérivant dans le Courant Circumpolaire Antarctique  (simulation, crédit : https://jeanlouisetienne.com/expedition/polar-pod).

La station Tara arctique (simulation : https://fondationtaraocean.org/goelette/tara-polar-station/)

Des décisions positives côté français

La France est impliquée de longue date dans les régions polaires, tant dans l’Arctique (au Spitzberg) qu’en Antarctique (à Dumont d’Urville, à Concordia sur le plateau polaire) et dans les îles australes et subantarctiques. Mais depuis plusieurs années le budget de l’Institut Polaire Français Paul-Emile Victor (IPEV) s’est tassé.

Dans un contexte inflationniste, la recherche polaire est en danger. C’est donc avec beaucoup d'intérêt que nous avons reçu l’annonce faite par le président de la République d’investir 1 milliard pour les pôles au cours des 7 prochaines années. Cela devrait permettre de porter le budget annuel de l’IPEV à 20 millions d’euros (M€) soit une augmentation de 36%. Il devrait également couvrir la remise en état de la station de Dumont d’Urville (150 M€), de Concordia (15 M€), d’appuyer les projets de dérive circumpolaire du Polar Pod de Jean-Louis Etienne et de la station de glace arctique de Tara (30 M€) (Figure 4), et de soutenir les programmes de recherche polaires (environ 400 M€ dont le ¼ en soutien de l’effort international sur l’Antarctique de l’Est).

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Figure 6 : A quoi ressemblera le navire-multimission Michel Rocard dont la construction est décidée par le gouvernement français? Sera-t-il à propulsion vélique assistée. Nul ne le sait. Ici le navire polaire Polar Duke d’une soixante de mètres de longueur, en action dans la mer de Ross (crédit Paul Tréguer).

Enfin la décision de construire le navire polaire Michel Rocard[5], ainsi nommé en hommage au premier ambassadeur des pôles, mérite d’être saluée.  

Ce navire, armé par Ifremer, sera mis à disposition de la communauté scientifique française dans le Pacifique Ouest et dans l’océan Austral. Pendant l’hiver austral il sera basé à Nouméa en Nouvelle-Calédonie et pourra opérer dans le Pacifique Ouest, de la Papouasie Nouvelle-Guinée à la Polynésie française. Ses campagnes porteront notamment sur l’impact du changement climatique sur les écosystèmes tropicaux, celui des microplastiques sur les coraux, et sur l’évolution des atolls et des lagons. Pendant l’été austral ce navire rejoindra Hobart en Australie (comme l’ Astrolabe) pour opérer en mer de d’Urville (bordant la terre Adélie, entre 136 et 142°E) et y réaliser des campagnes scientifiques afin d’étudier notamment la circulation méridienne de retournement de l'Antarctique, la biodiversité de l’océan Austral ou encore les rétroactions entre océan et cryosphère. Ce navire, de 65 à 70 mètres de long, sera capable d’accueillir une vingtaine de scientifiques et de déployer des engins sous-marins comme le robot téléopéré (ROV) Ariane ou le robot autonome Ulyx. Sa capacité glace sera de niveau 4. Il devrait donc être capable de franchir les glaces de première année épaisse de 1,8 m en été avec un vitesse de 5,5 noeuds. A noter qu'il sera doté d'un hélicoptère, outil essentiel pour une navigation optimale dans les glaces. Sera-t-il à propulsion vélique assistée ? Nul ne le sait. Il est prévu pour travailler en zone côtière et en haute mer. Des missions aussi diverses sont-elles possibles pour un seul navire ? Un navire polaire n’est pas le meilleur choix pour travailler en zone tropicale[6].

Une telle décision résulte visiblement d’un compromis destiné à satisfaire à la fois la communauté polaire et la nécessité pour la France de marquer son intérêt pour la Nouvelle Calédonie.

 

De belles perspectives donc. Il reste à passer aux actes par une loi budgétaire à la hauteur de ces annonces.

[1] Millan et al. Rapid disintegration and weakening of ice shelves in North Greenland, Nature Communication (2023). https://doi.org/10.1038/s41467-023-42198-2

[2] Naughten et al. Unavoidable future increase in West Antarctic ice-shelf melting over the twenty-first century, Nature Climate Change (2023). https://doi.org/10.1038/s41558-023-01818-x

[3] https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/09/26/antarctique-la-surface-de-la-banquise-plus-reduite-que-jamais-en-hiver_6191032_3244.html

[4] IPCC Climate change 2021 The physical science basis (2021), pages 38 et 95.

[5] https://www.ifremer.fr/fr/presse/le-premier-navire-capacite-glace-de-la-flotte-oceanographique-francaise-operee-par-l-ifremer

[6] Nicolas Vial. Un brise-glace sous les tropiques. Editions du Chênes, Hachette (2022).

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