top of page

Air du temps

REFLEXION SUR L'EVOLUTION DU MONDE

1er octobre 2023

Polexit ?

Aucun envahisseur n'a jamais conquis le coeur de la Pologne, 

cet esprit qui est l'héritage des fils et des filles, la passion privée des familles 

et le lien ancien et indéfectible avec tous ceux qui l'ont précédé. 

 James A. MICHENER, Poland 

Résumé :  La Pologne, ex-pays de l’Europe de l’Est, est entrée dans l’Union européenne (UE) en 2004. C’est la cinquième nation la plus peuplée de l’UE. Elle est confrontée à deux challenges majeurs : (1) atteindre en quelques décennies la neutralité carbone sachant que son électricité est actuellement produite pour l’essentiel à partir du charbon, (2) dans le contexte des impacts de la guerre Russie-Ukraine, réussir son intégration dans l’Europe… ou à la quitter ? 

 11 juin 2022. Avec un plaisir certain, je monte à bord de l’Oceanograf, un catamaran océanographique en provenance de Gdynia (Figure 1). La Pologne est très active en océanographie. Avec celle de Brest, l’université de Gdansk fait partie du réseau d’universités européennes SEA-EU. Pays riverain de la mer Baltique, avec comme ports principaux Gdansk et Gdynia, dans le cadre du Réseau européen EUR-OCEANS, j’ai eu l’opportunité de visiter la Pologne, le cinquième pays le plus peuplé de l’Union européenne. 

1.jpg
2b IMGP7429.jpg

Figure 1.  Le catamaran océanographique Oceanograf en escale à Brest le 11 juin 2022. Crédits : Université de Gdansk et Paul Tréguer. 

La partie nord de la Pologne (Figure 2), centrée sur le bassin versant de la Vistule qui prend sa source dans les Carpates, est relativement facile à envahir, ce dont ses voisins allemands et russes ne se sont pas privés au cours de sa longue d’Histoire, depuis le 10ème siècle. Le sol de cette zone est essentiellement composé de sable et de terreau fertile pour l’agriculture, résultant des moraines laissés par les glaciers à l’issue de la glaciation de Würm (115 000 à 11 700 ans avant le présent). Au sud les vallées de montagnes élevées, creusées pendant l’ère glaciaire, contiennent souvent du loess (limon calcaire). 

À la différence des pays fondateurs de l’Europe que nous avons récemment présentés, l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne est récente (2004). C’était le couronnement d’une transition vers un régime économique libéral après la fin du régime communiste (1989). Dirigée depuis 2015 par un 

gouvernement conservateur, la Pologne, au contact direct d’un bloc russe particulièrement belliqueux, s’est dotée de forces militaires de premier plan. Elle a l’ambition de devenir la première armée européenne, très liée aux Etats-Unis d’Amérique. Elle est aujourd’hui confrontée à deux challenges.

3 800px-Poland_topo.jpg

Figure 2 : La Pologne est le cinquième pays le plus peuplé de l’Union Européenne, après l’Allemagne, la France, l’Espagne et l’Italie. Voisin de Kaliningrad, de la Biélorussie, et de l’Ukraine, il est en première ligne des relations conflictuelles avec la Russie Crédit : Wikipedia 

Le challenge de la neutralité carbone 

Ce challenge est de taille car le secteur de l'énergie en Pologne se caractérise par la prépondérance massive du charbon. En 2020, cette énergie fossile assurait 73 % de la production d'énergie primaire, 40,6 % de la consommation intérieure totale d'énergie primaire (contre 76,5 % en 1990) et 72,3 % de la production d'électricité en 2021 (96 % en 1990), (Figure 3). Il en résulte de fortes émissions de dioxyde de carbone : 7,49 tonnes de CO2 par habitant en 2019, supérieures de 71 % à la moyenne mondiale et de 30 % à celles de la France. Ces émissions ont toutefois reculé de 12 % entre 1990 et 2018. Un solution logique serait la récupération du CO2 émis et son stockage sous-terrain mais la Pologne ne semble pas s'engager dans cette voie.

La part de l'électricité dans la consommation finale d'énergie n'est que de 16,2 % en 2019 ; la production d'électricité provient en 2021 pour 82,2 % des combustibles fossiles (72,3 % de charbon, 8,8 % de gaz naturel, 1,2 % de pétrole). 

4 PGE_ZEDO_02.jpg

Figure 3 : La centrale thermique à charbon de Dolna Odra, près de Katowice dans le sud de la Pologne.

Crédit : Wikipedia 

S'agissant de l'approvisionnement en gaz méthane,  la dépendance de la Russie a pris fin en 2022, grâce à la construction d'un terminal méthanier et du gazoduc Baltic Pipe depuis la Norvège. 

5b Farma_Wiatrowa_Ostrowo(1).jpg
6 polaniec-boiler-447-mw.jpg

Figure 4 : Parc éolien d'Ostrowo, Poméranie, 2009 ; Centrale à biomasse de Green Unit, Crédits : Wikipedia et (1) 

Afin de commencer à remplir ses engagements européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre, la Pologne a engagé une politique de développement des énergies renouvelables,

 

En 2020, la production d’électricité de la Pologne provenait donc pour 17,4 % des énergies renouvelables : 9,1 % d'éolien, 4,4 % de biomasse et déchets, 1,7 % d'hydroélectricité, 2,2 % de solaire.

 

Le programme éolien est en plein développement (Figure 4). Selon Windpower (3) on recense actuellement 352 parcs éoliens polonais totalisant 74 GW en avril 2023, dont 7 GW en fonctionnement, 1 GW en construction et 16 GW en projet (éolien offshore), 

A noter la production d’énergie à partir de biomasse (2). GDF Suez a inauguré en 2013 à Polaniec (sud-est de la Pologne) une centrale de production d'électricité (Figure 4) dont la puissance est de 205 MW (mégawatts). Alimentée par un mix de sous-produits issus de l’arboriculture forestière (80%) et de l’agriculture (20%) elle fournit l’équivalent de la consommation d’électricité annuelle de 600 000 ménages et permet d’éviter l'émission de 1,2 millions de tonnes de CO2 par an. 

La production d'énergie solaire a connu une croissance fulgurante depuis 2018, progressant chaque année de plus de 100 %. La Pologne se situe en 2022 au 6e rang des producteurs d'électricité photovoltaïque de l'Union européenne (UE). En 2021, le solaire photovoltaïque a fourni 2,2 % de la production d'électricité du pays. 

La Pologne a-t-elle pour projet d’atteindre la neutralité carbone en remplaçant progressivement l’utilisation du charbon par les énergies renouvelables pour produire de l'électricité ? Hélas, non. Elle a rejoint le groupe du Conseil de l’Union européenne défenseur de l’atome : la France, la Hongrie, la Finlande, la Slovaquie et la République Tchèque. Le gouvernement polonais vise la construction de 6 à 9 GW de nucléaire d'ici à 2043 (4). Le premier site est situé à Lubiatowo-Kopalino, au nord du pays à une centaine de kilomètres de Gdansk, sur la mer Baltique et pourra à terme accueillir jusqu'à 3,3 GW. Confirmant ses liens privilégiés avec les Etats-Unis d’Amérique aux dépens des acteurs économiques de l’Union Européenne, Varsovie a choisi le groupe américain Westinghouse pour construire sa première centrale nucléaire en 2033. 

Le challenge européen : s’intégrer dans l’Union européenne ou la quitter

La Pologne est une république parlementaire. Le pays est divisé en 16 provinces, correspondant aux régions historiques. L’autorité administrative au niveau provincial est partagée entre un gouverneur nommé par le gouvernement, une assemblée régionale élue et un pouvoir exécutif élu par l’assemblée régionale. 

7 langfr-330px-Visegrad_group_countries.svg.png

Figure 5. Le groupe de Visegrad (en bleu foncé): Pologne, Slovaquie, Hongrie, Tchéquie, membres de l’Union Européenne. Crédit : Wikipedia 

L'économie polonaise repose par, ordre d’importance, sur le commerce, les transports et les services d'hébergement et de restauration, l'industrie, ainsi que sur l'administration publique, la défense, l'éducation, la santé et les services sociaux. Comme les autres pays de l’Union européenne (UE), les échanges économiques sont essentiellement tournés vers l’Europe. Le commerce intra-UE représente 74 % des exportations de la Pologne (principalement avec l’Allemagne), ses exportations hors UE s’élevant à 6 % pour le Royaume-Uni et à 3 % respectivement pour la Russie et les États-Unis. 67 % des importations proviennent d’États membres de l’UE (principalement avec l’Allemagne). En dehors de l’UE, 10 % des importations proviennent de Chine et 4 % de Russie. 

L'élection d'Andrzej Duda à la présidence de la République en août 2015 et la victoire de son parti Droit et justice (PiS) et de ses alliés aux élections législatives d'octobre 2015 marquent le retour des conservateurs au pouvoir et le triomphe de l'euroscepticisme. C’est un tournant dans les relations Pologne-Europe. La Pologne inscrit en effet ses actions dans le groupe du Visegrád (Figure 5) réunissant quatre pays de l’ex-Europe de l’Est: la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la république Tchèque, tous membres de l'Union européenne et de l'OTAN. La population du groupe s’élève à 63,3 millions d’habitants en 2022 (14 % de la population de l’UE). 

 

Pour la Pologne le gouvernement doit contrôler la justice, et le droit national prévaut sur le droit européen. 

Deux ans après son arrivée au pouvoir, le gouvernement conservateur polonais a fait adopter au début de décembre 2017 la refonte du Conseil national de la magistrature, chargé de la nomination et de la déontologie des juges, et de la Cour suprême. De ce fait, la Commission européenne considère qu’il y a « un risque clair d’une violation grave de l’Etat de droit en Pologne ». En se basant sur l’article 7 du Traité de l’Union européenne, elle déclenche donc le 20 décembre 2017 (5) une procédure sans précédent, basée sur l’article 7 du traité de l’Union européenne, estimant que « Les réformes judiciaires en Pologne signifient que la justice du pays est désormais sous le contrôle politique de la majorité au pouvoir. En absence d’indépendance judiciaire, de graves questions sont soulevées quant à l’application effective du droit européen. » Encore jamais utilisé, l’article 7 est parfois qualifié d’« arme nucléaire » parmi les sanctions possibles dans l’UE. Sa mise en oeuvre peut en effet déboucher sur une suspension des droits de vote au sein du Conseil de l’Union, l’instance regroupant les Vingt-Huit. Cette procédure avait été imaginée en 2000, après les tensions entre l’UE et l’Autriche, lorsque l’extrême droite était au pouvoir à Vienne. 

En octobre 2021, le Tribunal constitutionnel polonais, inféodé au pouvoir, avait même franchi le pas en statuant sur la primauté du droit polonais vis-à-vis des traités européens. Mais, dans la perspective des élections législatives et sur fond de forte inflation, l’opinion publique renâcle. 

Varsovie a besoin d’argent. Elle souhaite en effet bénéficier d’une part du plan de relance européen de 750 milliards d’euros. Dans l’espoir de percevoir 23,9 milliards d’euros de subventions et 11,5 milliards d’euros de prêts post-Covid-19, le gouvernement du PiS accepte de lancer plusieurs projets de réformes de la justice évalués positivement par l’exécutif européen. C’était sans compter les querelles intestines qui minent la coalition gouvernementale polonaise qui n’accepte toujours pas de passer sous les fourches caudines de Bruxelles. 

L’implication de la Pologne en soutien à l’Ukraine face à l’agression russe a quelque peu redoré le blason de Varsovie mais ce soutien vient d’être mis en cause. La Pologne espère que la Commission européenne abandonne sa pression et accepte de verser la contribution financière attendue sans qu’elle modifie sa position sur le contrôle de la justice par le politique et sur la primauté du droit national sur le droit européen. En attendant elle attaque l’Union européenne en justice et le gouvernement vient de faire voter la tenue d’un référendum (6) dont les questions sont très polémiques, la quatrième en particulier : « Etes-vous favorables à l’admission de milliers d’immigrants illégaux du Moyen-Orient et d’Afrique, conformément au mécanisme de relocalisation forcée imposé par la bureaucratie européenne »? C’est en fait un référendum démagogique sur des thèmes populistes, tout à fait dans la ligne de ceux mis en œuvre avec succès depuis quelques décennies à travers le monde par les « ingénieurs du chaos » (7). 

A ce stade les Polonais ont trois options : 

1. Garder la ligne actuelle et quitter l’Union européenne, c’est l’option « Polexit ». 

2. Attendre les prochaines élections du Parlement européen (juin 2024) : si les représentants du groupe de Visograd sont en nombre et s’ils s’allient à ceux de l’extrême droite de l’Italie, de la France, de l’Allemagne… ils peuvent espérer emporter la majorité et adopter des dispositions qui privent l’UE de tout son sens. 

3. Surmonter les contradictions internes de la Pologne en donnant de nouveau la majorité aux partisans de la démocratie et de l’Europe. 

Une affaire à suivre car elle est cruciale pour l’avenir de la construction européenne (8) et de la transition vers la neutralité carbone. 

Références

bottom of page